Les sentiers de l’inquiétude – à propos d’Icebergs de Tanguy Viel
Tanguy Viel est un romancier circonspect, mesuré autant qu’inspiré. Les histoires qu’il agence, toujours avec une extrême attention, ne sont pas des subterfuges pour se raconter lui-même. Les lecteurs de ses romans – sept, publiés, depuis 1998, chez Minuit – reconnaissent et saluent à la fois sa maîtrise technique et son imagination, et aussi, surtout, sa manière de nouer ces deux dimensions. Aujourd’hui, posté sur son « belvédère spéculatif », mais nullement à l’abri des bourrasques, il fait un important pas de côté réflexif. Bien évidemment, la mise en rapport de cette réflexion et de sa création romanesque s’impose. Mais il n’est pas illicite de lire également le présent ouvrage pour lui-même. Il est assez riche pour cela.
Si je me laissais aller à une image facile, je dirais que ces Icebergs de Tanguy Viel sont une eau rare, précieuse… Ou comme un diamant. Mais un diamant en miettes, en mille morceaux. Sa valeur marchande est négligeable et son éclat a disparu – ou plus précisément s’est dispersé. Le contraire d’une fanfaronnade ou d’une opération de prestige. Et si je m’obstinais, je soutiendrais qu’il y a deux types de lecteurs, et donc d’écrivains.
Il y a ceux qui marchent à un rythme soutenu, sûrs d’eux-mêmes, conquérants, sur le droit chemin qu’ils ont eux-mêmes tracé, comme dans une large travée de bibliothèque où tous les ouvrages sont triés, rangés, catalogués, hiérarchisés.
Il y a les autres, les vagabonds, les rêveurs, les distraits, les mélancoliques, qui cherchent les routes secondaires, les sentiers écartés et ombragés, les chemins de traverse – fussent-ils des impasses. Ils tournent les pages, lèvent les yeux à la moindre mouche qui passe, soulignent, cornent les pages, rêvent encore avant de ranger provisoirement le volume – sur le mauvais rayon. Quelque chose les tracasse, qui affecte, sans rémission possible, leur conscience. Être écrivain, si cela constitue une identité (pour ma part, j’en doute), ne les sauve pas. Au contraire. Par