Littérature

L’art et la manière de critiquer son boss – à propos d’Une minute quarante-neuf secondes de Riss

Après l’attentat de janvier 2015, le grand romancier irlandais Robert McLiam Wilson, auteur de Ripley Boggle et Eureka Street, a décidé d’écrire régulièrement dans Charlie Hebdo. Il était dès lors peut-être le moins bien mais plus certainement le mieux placé pour écrire sur le livre du directeur de l’hebdomadaire, Riss : c’est pourquoi nous lui avons demandé de le faire.

J’écris pour Charlie Hebdo. M. Laurent Sourrisseau est donc mon patron. Plus connu sous le nom de Riss (il faudra un jour que les dessinateurs de presse m’expliquent leur problème avec les surnoms : une seconde syllabe serait trop leur demander ?), Sourrisseau, rédacteur en chef et grand manitou de Charlie, vient de sortir un livre. Alors, comment, en effet, fait-on la critique de son patron ? En prenant des pincettes, me direz-vous. Mais là, c’est Charlie Hebdo, alors non seulement suis-je autorisé à dire à mon patron d’aller se faire foutre mais c’est précisément ce qu’on attend de moi.

On a beau connaître les mêmes par cœur et les réciter ad lib, la plupart des premières phrases d’un livre ne nous apprennent en fait pas grand chose qui vaille la peine d’être su. Hier maman est morte. On s’en tape. Longtemps je me suis couché de bonne heure. Alors là, Marcel, tu m’épates. Ils se prennent pour qui, au juste, ces écrivains ?

Par contraste, voilà la première phrase d’Une minute quarante-neuf secondes de Laurent Sourrisseau : « Il est impossible d’écrire quoi que ce soit. » Tout (ou presque) est dit. Ni déclaration d’intention, ni manifeste littéraire, plutôt l’expression suicidaire d’une misérable incompétence. La mise en garde est la suivante : le livre que vous allez lire a été écrit par un homme qui ne sait pas comment l’écrire.

Dire que jamais aucun écrivain professionnel ou expérimenté ne commencerait ainsi son œuvre c’est passer à côté de la gravité des faits. Un écrivain qui oserait commencer ainsi serait d’emblée cloué au pilori par une horde de scribouillards en rangs serrés. « Mais t’as quoi dans le ciboulot, mec ? » lui hurleraient-ils au visage tout en lui arrachant un à un ses boutons dans quelque arrière-cour. Tu dois jamais laisser voir le blanc de tes yeux. L’écriture, c’est un jeu de confiance. Il faut donner envie, affrioler, appâter.

Mais Riss s’en fiche pas mal d’appâter le chaland. Ni n’en serait même capable s’il le voulait. Une minute quarante


Rayonnages

LivresLittérature