Roman (extrait)

Grandeur et décadence de la maladie de Parkinson

Ecrivain

Demian Lavrentievitch Parkinson, mort dans un camp de la Kolyma, est l’inventeur de la pathologie du même nom, la maladie originelle elle-même, l’authentique parkinsonisme selon lequel « l’homme est en fait une maladie incurable » et la santé son état négatif. D’où la nécessité de propager cette maladie : ce à quoi s’est employé Parkinson auprès de Staline, Atatürk et bien d’autres. Une nouvelle fois, l’écrivain serbe Svetislav Basara déploie un dispositif de l’absurde à sa façon dans Grandeur et décadence de la maladie de Parkinson. À l’occasion du prochain festival « Un week-end à l’Est » auquel il est invité, en voici le premier chapitre inédit, en primeur de sa parution aux éditions Notabilia en 2021.

Pavel Kouzmitch Kassatkin

MORBUS PARKINSON

Préface

 

Demian Lavrentievitch Parkinson, inventeur de la terrible maladie, est mort d’épuisement en 1947 dans un camp de travail de la Kolyma sous un faux nom, celui de Nikolaï Nikolaïevitch Kouznietsov. Parkinson portera encore ce nom éculé pendant quarante-trois sinistres années posthumes, jusqu’à la perestroïka, la glasnost et la dislocation de l’URSS, dislocation à laquelle – si l’on en croit les indications chronologiques et biographiques qui précèdent – Demian Lavrentievitch (désormais réhabilité) aura sensiblement contribué. D. L. Parkinson a donc été réhabilité en même temps que des centaines de milliers de prisonniers tant réels que fictifs ; il a réintégré le gîte de son être disparu – son nom. Sa maladie, cependant, est tombée dans l’oubli ; elle végète sous un statut dégradé. C’est toujours morbus Parkinson, ou, plus populairement, le parkinsonisme, mais – ses contemporains encore vivants s’accordent tous sur ce point – les symptômes et le tableau clinique de la pathologie moderne n’ont aucun rapport avec la maladie de Parkinson originelle. Et il ne s’agit pas là d’une mutation de la maladie elle-même, comme dans le cas de la tuberculose qui ne cesse de trouver de nouvelles stratégies biochimiques pour s’adapter aux antibiotiques ; non, et d’ailleurs, le parkinsonisme est incurable ; c’est maintenant un ensemble profane de symptômes empruntés à quelques maladies insignifiantes, qui, considérés globalement, font plutôt penser à la maladie d’Alzheimer. Le parkinsonisme moderne est manifestement une contrefaçon. Mais pourquoi falsifier une maladie ? Cette question tracasse également F. R. Voznessenski, un historien qui a accès aux archives de l’Okhrana impériale, du NKVD, du KGB et de la Loubianka. Mais par où commencer ? Les non-initiés – et en la matière c’est le cas de tout le monde – ne peuvent imaginer les dimensions de ces Archives, pour ne rien dire du nombre incalculable de documents qui y sont entreposés


[1] Voir le texte Mes souvenirs de Demian Lavrentievitch de V. L. Mekdonald.

[2] Cela s’est révélé exact. Dans le compte-rendu de l’autopsie de V. I. Lénine, l’éminent docteur V. Ossipov note entre autres : « … de sorte que le diagnostic final écarte la syphilis et l’intoxication à l’arsenic dont on a tant parlé. Il s’agit en fait d’une artériosclérose qui a gagné entièrement le cerveau. Les dépôts calciques étaient si importants que pendant la dissection ils produisaient un bruit semblable à celui d’une pierre que l’on frappe. »

[3] Comme on le sait, cela aussi s’est révélé exact. Lénine est embaumé puis exposé sur la place Rouge, où son âme aujourd’hui encore contemple sa dépouille dans un cercueil transparent.

[4] Encore une prophétie avérée de Parkinson. Dans sa monographie sur Staline, E. Radzinski rapporte qu’après son hémorragie cérébrale Lénine chuchotait : « Au secours… Oh, le Démon… le Démon… Au secours. »

[5] Les livres-doublets ressemblent aux journaux-doublets et aux lettres-doublets. La différence, c’est que les livres-doublets sont écrits par le Service. Plus précisément, réécrits pour la plupart après quelques années.

Svetislav Basara

Ecrivain

Notes

[1] Voir le texte Mes souvenirs de Demian Lavrentievitch de V. L. Mekdonald.

[2] Cela s’est révélé exact. Dans le compte-rendu de l’autopsie de V. I. Lénine, l’éminent docteur V. Ossipov note entre autres : « … de sorte que le diagnostic final écarte la syphilis et l’intoxication à l’arsenic dont on a tant parlé. Il s’agit en fait d’une artériosclérose qui a gagné entièrement le cerveau. Les dépôts calciques étaient si importants que pendant la dissection ils produisaient un bruit semblable à celui d’une pierre que l’on frappe. »

[3] Comme on le sait, cela aussi s’est révélé exact. Lénine est embaumé puis exposé sur la place Rouge, où son âme aujourd’hui encore contemple sa dépouille dans un cercueil transparent.

[4] Encore une prophétie avérée de Parkinson. Dans sa monographie sur Staline, E. Radzinski rapporte qu’après son hémorragie cérébrale Lénine chuchotait : « Au secours… Oh, le Démon… le Démon… Au secours. »

[5] Les livres-doublets ressemblent aux journaux-doublets et aux lettres-doublets. La différence, c’est que les livres-doublets sont écrits par le Service. Plus précisément, réécrits pour la plupart après quelques années.