Littérature

Des vies rétives à l’histoire – sur Le Dossier sauvage de Philippe Artières

critique

Philippe Artières ouvre Le Dossier sauvage comme une histoire contrefactuelle, celle d’un dossier imaginaire qu’aurait laissé le philosophe Michel Foucault, dont il fut un temps responsable des archives. Le livre propose une approche sensible de la figure du marginal, dont il n’omet aucune facette, aucune déclinaison : ni les femmes, ni les enfants, ni, plus près de nous, les zadistes, ou, plus loin de nous, les religieux.

Aussi dissemblables soient-ils, les livres de Philippe Artières commencent souvent l’air de rien, par une fausse coïncidence, un document tombé du ciel, un séjour dans une résidence d’écrivains-artistes (au hasard, la villa Médicis), ou encore une chemise cartonnée qu’un ami vous remet à la sauvette, juste avant de vous quitter. À cette légèreté, il ne faut pas se fier. Elle peut vous entraîner loin, dans l’obscurité d’une forêt lointaine et dans l’esprit d’êtres étranges, défiants, qui ont choisi les marges ou que les marges ont choisis – il est parfois difficile de différencier.

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C’est ainsi que débute le dernier ouvrage de cet écrivain-chercheur qui, depuis longtemps, longe la frontière entre la recherche, la vraie, dûment garantie par son appartenance au C.N.R.S., et la fiction, plus exactement la contre-histoire, quand celle-ci ne frôle pas le goût du canular. L’histoire du Dossier sauvage commence donc piano ma non troppo, de la façon la plus simple qui soit : « je », l’auteur, se voit remettre par « Daniel » une chemise qui comprend un dossier inédit de Michel Foucault intitulé « Vies sauvages ». Je, c’est lui, Philippe Artières. Daniel, lui, n’a pas de nom de famille. Le lecteur, s’il est curieux, est donc prié de repérer quelques indices, de les relier et de faire une petite recherche pour comprendre qu’il s’agit de Daniel Defert, compagnon de Foucault et co-éditeur de ses Dits et écrits. Du début à la fin du livre, le lecteur, ou la lectrice, sera ainsi sollicité, bousculé et déstabilisé. Nous n’en dirons pas plus, car l’extrême fin du livre réserve une surprise, et ce serait le spoiler que de la révéler ici.

Philippe Artières excelle à brouiller les pistes, c’est vrai, pourtant celle qu’il suit dans ce livre est on ne peut plus claire. Il s’agit d’une figure, d’un mythe qui habite la civilisation occidentale depuis toujours : celui du sauvage, souvent bon, parfois mauvais. Qui plus est, dans le livre qui nous occupe, le sauvage est une réalité, i


Cécile Dutheil de la Rochère

critique, éditrice et traductrice

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