Rediffusion

Simplismes de l’écologie catastrophiste

Philosophe

Les « collapsologues », ces militants écologistes qui prophétisent l’effondrement certain de la civilisation industrielle, ont le vent en poupe comme en témoigne le succès populaire de leurs livres. Mais s’il y a effectivement péril en la demeure, ceux qui le clament sont parties prenantes de la panique qui désormais s’installe selon Jean-Pierre Dupuy. Le théoricien du « catastrophisme éclairé » remet ici les choses au point face à ce qu’il considère comme un flou conceptuel dangereux. Rediffusion du 21 octobre 2019.

De plus en plus de gens croient que l’humanité court de graves dangers et que les décennies à venir seront décisives pour sa survie. De là à prétendre qu’avant 2030 il est certain que la civilisation industrielle se sera « effondrée », au sens qu’une série de catastrophes, principalement climatiques, auront éliminé la moitié de la population mondiale en moins d’une décennie, il y a un gouffre avant tout conceptuel qu’il est très risqué de franchir.

Certains en France n’ont pas hésité à le faire et ils en ont été récompensés par un succès public important. Leurs livres se vendent par centaines de milliers d’exemplaires et l’on se bouscule à leurs conférences comme on pouvait le faire jadis pour entendre, au Collège de France ou ailleurs, des stars de l’intellect comme Michel Foucault ou Jacques Lacan. Ce qu’ils ont à dire n’est hélas pas du même niveau et l’impact que cette littérature médiocre a sur les gens ajoute au risque d’« effondrement » qu’elle-même prophétise. Il y a effectivement péril en la demeure mais ceux qui le clament sont parties prenantes de la panique qui s’installe.

Critiquer ces militants qui se désignent eux-mêmes par l’horrible sobriquet de « collapsologues » n’est cependant pas facile. Ils attirent l’attention générale sur des problèmes considérables que les optimistes béats et le marais des indifférents qui forment encore la majorité de la population française balaient trop facilement sous le tapis. Je suis ici obligé de me mettre en scène. Certains de ces collapsologues me citent abondamment et disent m’approuver, et ils vont même jusqu’à prendre, dans le livre qui a lancé le mouvement, une citation de moi comme « leitmotiv » de celui-ci[1]. Certes, ils n’en ont pas vraiment compris le sens mais le fait qu’ils estiment ainsi me devoir quelque chose m’amène à me demander ce qui, dans mes propos, a pu prêter à confusion.

Beaucoup plus grave est le flou conceptuel dans lequel baignent ces livres.

Nos auteurs ont un talent certain pour influenc


[1] Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris, Seuil, coll. « Anthropocène », 2015, p.253.
[2] Cochet, Devant l’effondrement. Essai de collapsologie, Les Liens qui libèrent, Paris, 2019, p.120.
[3] Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, Une autre fin du monde est possible : Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre), Paris, Seuil, coll. « Anthropocène », 2018, p.86.
[4] Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris, Seuil, coll. « Anthropocène », 2015, p.128-129 et 130.
[5] Par exemple, Servigne, dans son ouvrage de 2015, p. 142.
[6] Servigne, 2015, p. 253.

Jean-Pierre Dupuy

Philosophe, Professeur à Stanford University

Notes

[1] Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris, Seuil, coll. « Anthropocène », 2015, p.253.
[2] Cochet, Devant l’effondrement. Essai de collapsologie, Les Liens qui libèrent, Paris, 2019, p.120.
[3] Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, Une autre fin du monde est possible : Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre), Paris, Seuil, coll. « Anthropocène », 2018, p.86.
[4] Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris, Seuil, coll. « Anthropocène », 2015, p.128-129 et 130.
[5] Par exemple, Servigne, dans son ouvrage de 2015, p. 142.
[6] Servigne, 2015, p. 253.