Une machine comme moi
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C’était l’espoir garanti pour toute aspiration religieuse, c’était le saint graal de la science. Nous avions des ambitions, pour le meilleur et pour le pire : que le mythe de la création devienne réalité, que s’accomplisse un acte d’un narcissisme monstrueux. Dès que ce fut faisable, nous n’avions plus qu’à suivre nos désirs, et tant pis pour les conséquences. En termes plus nobles, le but était d’échapper à notre mortalité, d’opposer à la figure de Dieu, voire de lui substituer, un moi parfait. Plus concrètement, notre intention était de concevoir une version améliorée de nous-mêmes, plus moderne, et d’exulter devant notre inventivité, de jubiler de notre supériorité. À l’automne du vingtième siècle il eut enfin lieu, ce premier pas vers la réalisation d’un rêve ancien, début de la longue leçon que nous allions nous donner à nous-mêmes : aussi compliqués que nous ayons été, aussi défaillants et difficiles à décrire, même dans nos actions et manières d’être les plus simples, on pouvait nous imiter et nous perfectionner. Et j’étais là en cette aube glaciale, un jeune homme qui fut d’emblée un adepte enthousiaste.
Mais les humains artificiels étaient un cliché longtemps avant leur arrivée, si bien qu’une fois là ils en déçurent certains. L’imagination, plus rapide que l’histoire et que les avancées technologiques, avait déjà simulé l’avenir dans les livres, puis au cinéma et dans les séries télévisées, comme si des acteurs marchant avec une fixité particulière dans le regard, quelques mouvements caricaturaux de la tête et une certaine raideur du dos pouvaient nous préparer à la vie avec nos cousins du futur.
Je comptais parmi les optimistes, grâce à une rentrée d’argent inattendue après la mort de ma mère et la vente de la maison familiale, qui s’était révélée construite sur un site propice à une opération immobilière. Le premier androïde viable fabriqué en série, doté d’une intelligence et d’une apparence plausibles, de gestes et d’expressions crédibles, fut mis en