Logique et esthétique du drone armé
Même si nous faisons de notre mieux pour l’ignorer, même si les fêtes de fin d’année, la réforme des retraites et les grèves qui tentent d’y faire barrage conspirent à en détourner notre attention, la France fait désormais voler des drones armés au-dessus du Sahel. On assurait autrefois que ces avions sans pilote n’auraient pour fonction que des missions de surveillance. Il avait été annoncé en 2017 qu’ils seraient dotés de capacités destructrices au cours des deux ans à venir. La ministre des Armées, Florence Parly, a annoncé, le 19 décembre 2019, que « les armées françaises ont réalisé avec succès les tirs d’expérimentation de drones armés depuis la base aérienne de Niamey au Niger, dans le cadre de l’opération Barkhane ». Elle s’est toutefois empressée d’éviter tout malentendu : « il s’agit d’une nouvelle capacité, pas d’un changement de doctrine. » Nous voilà rassurés.
« Modernes et efficaces »
La déclaration officielle a été sobre, directe et concise. Elle n’en mérite pas moins une patiente explication de texte. On y lit que « les drones armés amélioreront considérablement la sécurité de nos militaires sur place et renforceront nos moyens face à un ennemi toujours plus fugace. » Tuer des ennemis armés de Kalachnikovs en restant à des centaines ou à des milliers de kilomètres de chez eux constitue en effet une excellente façon d’améliorer la sécurité de ses propres troupes. Même si ces engins auront vocation à « être opérés depuis le théâtre de l’opération concernée », on imagine que « le théâtre » en question sera assez vaste pour mettre les uns bien à l’abri dans le fond des coulisses, tandis que les autres se trouveront pleinement exposés aux regards tueurs sur les devants de la scène.
Comme l’avait admirablement analysé Grégoire Chamayou dans son ouvrage désormais classique consacré à la Théorie du drone, la rupture principale introduite par ce type d’armes consiste à faire muter ce que nous considérions comme des « guerres » en des opérations qui relèvent désormais de la « chasse », du fait de la dissymétrie radicale introduite entre les deux parties. Cette dissymétrie avait déjà été frayée depuis longtemps, bien entendu, par l’invention du fusil, du missile ou du B52. Elle bascule toutefois ici dans des proportions absolument nouvelles, dont nous peinons encore à cerner les enjeux.
Invoquer « un ennemi toujours plus fugace » va précisément dans cette direction. On ne fait même plus semblant de protéger nos populations contre des envahisseurs venant les menacer chez elles : c’est bien un rapport de chasseur à animal en fuite qui est explicitement mis en scène. Cet ennemi traqué sur son propre territoire n’aura désormais nul trou où se terrer. Les opérateurs de drones militaires ont pu qualifier de bugsplash (« écrabouillure d’insecte ») la forme que laissaient les impacts[1]. Leur principal modèle d’appareil a été intitulé Predator…
Un tel changement de nature dans le régime de destruction imposé à la partie adverse rend assez scolastique l’engagement pris d’agir « dans le strict respect du droit des conflits armés ». Les conflits armés se sont donnés des règles valables dans des rapports de guerre entre humains. Les lois de la chasse n’ont jamais été négociées avec les sangliers ni avec les faisans. En achevant de faire basculer la situation d’un régime à l’autre, le drone invalide le cadre même du « droit » auquel on fait mine de se raccrocher vertueusement ici.
Dès lors que « les missions principales [et originelles] de surveillance et de renseignement » peuvent désormais « être étendues aux frappes », « la pression sur les groupes terroristes armés n’en sera que plus grande » – avec pour horizon idéal une « pression permanente exercée sur l’ennemi ». Réduire le combattant de l’autre camp à l’état d’animal traqué, maintenu sous la menace permanente de se faire pulvériser à tout instant par un feu tombé du ciel : voilà bien « la doctrine » dont il s’agit (dont on nous assure qu’elle n’a pas changé).
Les expériences américaines en Afghanistan ou en Irak ont pourtant abondamment montré que les populations habitant dans des zones frappées par des drones ne savent jamais très précisément ni au nom de quoi, ni qui exactement les considérera (ou non), à 10 000 kilomètres de là, comme des « ennemis » ou comme des « terroristes ». Avec pour résultat que le dispositif exerce bel et bien sur ces populations prises dans leur ensemble « une pression permanente » – laquelle pression ressemble d’assez près à ce qu’on peut considérer comme de la « terreur ». Au point de se demander quel est le camp qui mérite le plus littéralement d’être qualifié de « terroriste » – et donc quel camp se sentira le plus justifié pour draper ses assassinats futurs sous la bannière de l’« anti-terrorisme ».
Asymétrie radicale entre ceux qui sont là où frappe la mort et ceux qui la commandent à des milliers de kilomètres de là par la vertu magique d’un joystick ; mutation des champs de bataille en terrains de chasse ; pression terrorisante exercée sur toute une population que le feu du ciel peut terrasser de façon imprévisible à tout instant : voilà apparemment comment se traduit un « engagement constant à construire des armées modernes et efficaces. »
La logique du drone
Dans une conférence donnée le 12 octobre 2018 à l’université de Duke sous le titre « Techno-Aesthesis and Drone Vision[2] », le théoricien des media Mark B. N. Hansen proposait une analyse complexe mais très éclairante de ce que peut signifier « l’arrivée des drones armés sur le théâtre de Barkhane », célébrée par la ministre des Armées comme un gain « de rapidité et d’efficacité ». Il commençait par souligner le caractère alien et proprement inhumain de ce qui constitue la vision qu’un drone peut avoir du champ des opérations. C’est une vision dénuée de la perspective qui informe nos perceptions humaines, une vision faite de données actualisées en temps réel collectées au sein d’une énorme diversité de sources hétérogènes mises en réseaux (météorologiques, balistiques, géopolitiques, stratégiques), corrélées avec une autre énorme quantité de régularités (géométriques, géologiques, cosmologiques, chimiques, biologiques, zoologiques, ethnographiques), aboutissant à des systèmes de relation qui n’ont rien à voir avec ce que nous pourrions reconnaître ni comme une vision, ni comme un choix.
Les drones ne peuvent voler, surveiller, transmettre et recevoir des données – et finalement assassiner des corps humains – que s’ils sont constamment soutenus en l’air, non seulement par des carburants fossiles, mais tout autant par des millions de capteurs, de serveurs, d’algorithmes moulinant 24/24 et 7/7 pour entretenir ce que Mark Hansen décrit comme un mixte de « sensibilité mondaine » (worldly sensibility) et de « computation planétaire », mixte dont toute notre logistique existentielle se trouve aujourd’hui dépendre. Au-delà des affaires militaires, la « logique du drone » illustre en réalité notre vie dans et par les réseaux – ces réseaux qui la monitorent, l’accompagnent, la facilitent, l’alimentent en informations, l’anticipent et la préemptent, sur la base d’un fond sous-jacent d’informatisation auquel nous ne prêtons pas davantage attention qu’à l’air que nous respirons, mais qui n’est devenu pas moins nécessaire que lui à notre existence.
Mark Andrejevic décrit cette logique du drone par quatre traits, qui se retrouvent aujourd’hui un peu partout dans nos vies, bien loin des terrains de guerre (sauf que, justement, la logique du drone a pour propriété de transformer tout champ social en un champ de bataille). Le drone armé « 1° étend, multiplie et automatise le travail opéré par nos sens et par nos différents capteurs sensoriels ; 2° il sature le temps et l’espace au sein desquels ce travail de sensibilité est exécuté (des villes entières peuvent être photographiées 24h/24h) ; 3° il automatise le processus d’interprétation de signification ; et 4° il automatise la réponse[3] ».
Hansen et Andrejevic convergent à nous renvoyer l’image du drone à la fois comme constituant un alien inimaginable, tant son mode d’opération est radicalement différent de nos propres façons de percevoir le monde et de nous y comporter, et comme révélant la vérité de notre inéluctable intrication dans les réseaux mis en place par la logistique du capitalisme globalisé. Même lorsque nous pouvons être conduit·e·s à critiquer la décision gouvernementale d’armer les drones français volant à 5 000 pieds au-dessus du Sahel, nous ferions bien de mesurer à quel point des pans croissants de nos modes de vie, aussi critiques soyons-nous, reposent sur la logique du drone.
Les arts du drone
Un certain nombre d’artistes ont consacré aux drones une partie de leur travail, que Mark Hansen passe en revue dans sa conférence. James Bridle – lui-même l’un des théoriciens-phares des bouleversements entraînés par notre insertion dans des réseaux de computation – a collecté dans Dronestagram (2012)[4] des images de drones-tueurs, au sein de pages Instagram ou Tumblr que les spectateur.es étaient convié.es à commenter. Il en résultait de fréquentes ambiguïtés quant à ce que visaient exactement les like ainsi récoltés : le dispositif artistique ? l’image ? le drone lui-même ? l’assassinat qu’il performait ? Tout cela se superposait de façon très inconfortable, comme si les frontières précises de ce qu’est – comme de ce que fait, et de qui fait quoi avec – un drone étaient vouées à se diluer dans des réseaux de contamination terriblement inquiétants.
Lorsque Trevor Paglen parvient à récupérer des images filmées par des drones et piratées durant des communications non-sécurisées au sein de l’armée, ou lorsqu’il utilise des caméras cosmographiques pour saisir les traces, imperceptibles à l’œil humain, que laissent les drones aux très hautes altitudes où on les fait voler, dans les deux cas, il fait sentir la très inquiétante asymétrie qui règne entre la capacité létale des drones à tout voir et notre incapacité humaine à les percevoir eux-mêmes – et encore plus à intégrer leurs opérations dans notre vision du monde.
Le film 5000 Feet is the Best, réalisé par Omer Fast en 2011 et longuement commenté par Mark Hansen, explore la double impossibilité dans laquelle se trouvent les opérateurs de drones armés. Ils ne parviennent ni à faire face aux implications (in)humaines des tâches que l’armée leur confie au titre de leur « métier », ni à occulter suffisamment ces implications pour réussir à mener une vie « normale ». Ici aussi, l’élaboration esthétique aide à percevoir ce que la nature même du drone armé est vouée à rendre simultanément invisible et aveuglant.
Il apparaît ainsi que ce ne sont pas seulement des corps humains lointains (« terroristes ») qui se trouvent anéantis par l’opération des drones armés. Les bons et valeureux « personnels du ministère des Armées [qui] se sont pleinement impliqués dans la mise en place de cette nouvelle capacité » – personnels que la Ministre se plaît à « saluer et féliciter » dans sa déclaration du 19 décembre 2019 – sont voués eux aussi à subir un sort terriblement peu enviable. Jeremy Packer et Joshua Reeves en rendent bien la violence intime en baptisant l’entraînement que subissent ces opérateurs une « humanectomie », à comprendre comme l’ablation de ce qui peut rester d’humanité au sein d’un travailleur[5].
Dans les performances de Drone-2000, Nicolas Maigret rassemblait des publics qu’il faisait survoler par un drone (non-armé !) dont le logiciel avait été légèrement endommagé, générant un happening où le véhicule volant prétendument autonome risquait à tout instant de s’écraser sur la tête des spectateurs. Cette installation remarquablement simple donnait (une toute petite et très éphémère idée de) l’expérience vécue par les populations soumises à la « pression permanente » d’un survol menaçant. Car le glitch, le bug, l’erreur d’interprétation des données du système font intégralement partie de ce système (comme de tout système). Les réalités des attaques de drones – aussi cachées restent-elles du point de vue de notre indifférence générale à leur égard – sont bien entendu faites d’un mixte inséparable de super-sophistication computationnelle et de bêtise crassement machinique, d’erreurs humaines préemptées par l’automatisation et d’aberrations procédurales corrigées (trop tard) par interventions manuelles.
Le besoin d’esthétique
Le mérite principal de la réflexion de Mark Hansen est de nous faire voir, par l’exemple de ces travaux artistiques, à quel point la confrontation à la logique du drone revitalise notre besoin d’esthétique. Il opère pour ce faire un détour par les considérations que le philosophe de la technique Gilbert Simondon consacrait en 1958 au statut de l’expérience esthétique, qu’il identifiait comme une façon que nous fournissait le monde moderne de nous reconnecter à un « fond », dont les technosciences avaient extrait des « figures » que nous utilisons pour tenter de maîtriser ce monde.
Les savoirs scientifiques et les appareillages techniques identifient des points-clés sur lesquels notre action pourra aménager notre environnement. Frottez une baguette de résine et vous la verrez attirer vers elle certains corps légers et de petite taille : la science de l’électricité isole dans cette situation un certain nombre de paramètres, qui permettront bientôt d’envoyer des messages codés sur de grandes distances, de faire briller des ampoules, et de terrasser votre ennemi à l’autre bout de la planète. Que reste-t-il toutefois de notre environnement après qu’on en a isolé tous ces éléments et toutes ces propriétés opératoires ? C’est avec ce reste que, selon Simondon, nous mettent en contact les expériences esthétiques ainsi que religieuses. Elles donnent matière (au moins imaginaire) au sentiment que nous pouvons avoir que ce fond, en tant que fond, mérite aussi une part de notre attention – les religieux l’appellent « Dieu », les écologistes « la nature », les esthètes « le beau » ou « le sublime ». Nos expériences artistiques, en régime de modernité, auraient précisément cette fonction : nous faire sentir (respecter, craindre, admirer) ce fond qui reste derrière les calculs d’utilité sans cesse raffinés par nos technosciences.
Pour Mark Hansen, nous avons besoin d’esthétique pour nous aider à sentir ce que sont, et ce que font, ces « réseaux » qui soutiennent nos existences – l’existence des drones-tueurs comme l’existence de chacune de nos personnes. Notre approvisionnement quotidien dépend désormais, au même titre que les missions des drones, de la sensibilité mondaine et de la computation planétaire que le capitalisme de plateformes a tramées autour de, ainsi qu’à travers nous. Nous en percevons certains effets, nous pouvons en localiser et en identifier certains points-clés. Mais nous sommes largement démuni.es lorsqu’il s’agit percevoir ces réseaux en eux-mêmes et pour eux-mêmes, dans leur logique d’ensemble – ne serait-ce que parce que nous vivons en leur intérieur, et manquons donc fatalement de la perspective nécessaire à les considérer comme un tout, vu de loin.
Deux niveaux d’imperceptibilité
Face à une nouvelle comme celle qui a été annoncée le 19 décembre 2019 par la ministre des Armées, il convient donc de repérer deux niveaux de réaction nécessaire. À un premier niveau, il importe bien entendu de se demander si le recours à des drones-tueurs est une mesure réellement en accord avec les finalités évoquées pour la justifier. Il est difficilement discutable que cette décision offrira aux forces armées françaises « la capacité de réagir et décider avec plus de rapidité et d’efficacité » dans leurs attaques ciblées menées au Sahel. Savoir si « la pression permanente » et accrue qui en résultera ira véritablement dans l’intérêt de la France, de la sécurité des militaires sur place comme de celle des populations civiles dans la métropole, sans oublier leur impact sur les populations locales et les besoins propre de la paix, c’est-à-dire de la résolution des conflits – voilà qui est certainement ouvert à débat.
Mais ce débat ne peut avoir lieu qu’en nous faisant constamment dériver vers un deuxième niveau, qui est celui des enchevêtrements d’actions et de réactions – de « transactions » – intriquées au sein des réseaux qu’établissent entre nous les intensifications spectaculaires de la sensibilité mondaine et de la computation planétaire. Évaluer rationnellement l’effet réel des assassinats lointains opérés par des drones armés exige de sortir de la rationalité éminemment limitée propre à la définition étroitement militaire de ce que sont « des armées modernes et efficaces ». Même si les figures chiffrées qu’en tireront les statistiques officielles ne manqueront pas de nous rassurer, c’est du fond laissé dans l’ombre par ces figures que les dangers réels surgiront – fond d’angoisse, de frustration, d’humiliation, d’indignation généré au sein des populations survolées, fond d’« humanectomie » opérée sur les bureaucrates gamifiés du joystick, fond de notre cécité commune envers les logiques profondes instaurées par les réseaux sous la surface de leurs gains d’efficacité.
Dans son livre de 2013, Grégoire Chamayou alignait des arguments décisifs pour indiquer à quel point la rationalité des drones-tueurs engageait les sociétés qui y souscriraient dans de terribles effets-boomerangs dont, après quelques illusions de victoires faciles, elles feraient elles-mêmes les frais dramatiques sur leur propre territoire. Il espérait que, n’étant pas encore aussi avancée dans cette voie que l’étaient les USA de Barack Obama, la France saurait en éviter l’impasse, grâce à un débat public que son ouvrage visait à alimenter et à informer. La discrète déclaration du 19 décembre 2019 sanctionne la ruine d’un tel espoir.
En se félicitant de « l’arrivée des drones armés sur le théâtre de Barkhane », la Ministre recourait pourtant à une métaphore doublement chargée. Premièrement, le « théâtre » de la guerre menée par drones-tueurs présente le paradoxe de rester invisible : si les drones s’entendent (leur nom désigne en anglais un bruit sourd de vrombissement), ils ne se voient pas – sauf lorsque des artistes imaginent les plus improbables dispositifs de théâtralité pour leur conférer un semblant de visibilité. Car deuxièmement, si nous souhaitons véritablement évaluer les effets des drones armés, c’est bel et bien au sein d’une recherche d’ordre esthétique, par exemple théâtrale, qu’il faudrait se situer, et non seulement dans un cadre d’argumentation strictement militaire, ni même seulement géopolitique. Le manque d’image des drones est peut-être voué à faire encore plus de dégâts que leurs frappes computationnellement ciblées.
Trois revendications
Ces deux niveaux d’imperceptibilité débouchent donc sur trois revendications, d’ampleurs apparemment très inégales entre elles. Dans un premier cercle, cette nouvelle arme mise au service de l’anti-terrorisme, après et au milieu de tant d’autres, mérite certainement de faire enfin l’objet d’un large débat public sur les écarts possibles – voire sur les contradictions directes – entre les finalités fièrement affichées et les effets probablement induits.
Dans un deuxième cercle, plus inclusif que les seules questions sécuritaires, la tenue d’un tel débat doit conduire à élargir la question des drones-tueurs à celle de l’expansion de la « logique du drone » à une large gamme de champs d’activités. Derrière la capacité de voler de façon autopilotée, de repérer, de cibler et d’exécuter des corps humains identifiés par leur « signature algorithmique », c’est tout notre mode d’existence dans les réseaux de la sensibilité mondaine et de la computation planétaire qui demande à être débattu. La récente grand-messe organisée en octobre par le gouvernement français sous la bannière d’un Global Forum on AI for Humanity a brillé par sa vacuité et son irréalisme, en réussissant l’exploit de parler pendant trois jours d’algorithmes, de plateformes et d’automation sans jamais faire la moindre référence à l’axiomatique capitaliste qui surdétermine si fortement les déploiements technologiques en cours.
Enfin, dans un troisième cercle, encore plus indisciplinaire que le précédent, c’est le statut (institutionnel, épistémologique, politique, anthropologique) reconnu aux travaux se situant dans le champ de l’esthétique qui appelle à être drastiquement réévalué, dès lors que les arts et les études auxquelles ils donnent lieu constituent la plus prometteuse des approches actuellement à notre disposition pour tenter de faire sens de ce que nous nous faisons les un.es aux autres à travers notre insertion toujours plus intime dans des réseaux de réseaux. Non moins que sur le déploiement de drones armés au Sahel, nos questionnements devraient porter sur l’utilitarisme étroit des discours gouvernementaux sur l’IA, dont Grégory Chatonsky a bien souligné, dès la sortie du rapport Villani, à quel point ils faisaient l’impasse sur la part essentielle que les arts doivent apporter à notre responsabilisation collective envers les avancées de la computation.
Demandes de débat sur l’anti-terrorisme computationnel, sur la constitution des réseaux qui reconditionnent nos êtres et nos actions, sur l’importance des arts pour réfléchir ensemble à cette constitution collective : si le cas particulier des drones armés a un mérite, c’est de suggérer fortement que ces trois revendications n’en font en réalité qu’une seule.