Une voix et des fantômes – à propos de Je ne répondrai plus jamais de rien de Linda Lê
On se souvient d’avoir été impressionné, il y a quelques années, par la présence de Linda Lê, à l’occasion d’une rencontre publique où pourtant elle parla très peu, d’une voix très douce, à peine audible parfois, l’air un peu effrayé par le journaliste qui l’interrogeait, il est vrai sans grande délicatesse. Cette présence, toute en retenue, en tension, presque en murmure, était d’autant plus frappante que l’on connaissait la voix écrite de cette écrivaine hors-norme, jusqu’ici fidèlement éditée par Christian Bourgois et dont Je ne répondrai plus jamais de rien paraît aujourd’hui chez Stock : une force, un feu, la flamme enfin d’une écriture qui ne refuse pas la réitération, la modulation d’un cri qu’alimente et jamais n’étouffe une extrême culture littéraire.
Le style de Linda Lê, son identité plutôt, très singulière, tient à cette espèce de puissance incantatoire qu’on dirait presque étrangère dans sa langue – la littérature semblant en effet une langue en soi – comme si quelque violence bizarrement accentuée venait secouer le texte, lui donner une manière de délicatesse brute, littéralement inouïe.
Je ne répondrai plus jamais de rien nous fait retrouver d’entrée un tel choc, et son originalité première, intacte : c’est un livre qui ne reprend jamais son souffle, ne lâche jamais le « je » qui ouvre son titre et renvoie à une parole de la mère désormais défunte. Un livre de deuil, alors ? De fantômes, plutôt, dont on n’est pas sûr absolument qu’il puisse se satisfaire de l’étiquette de « roman », où du moins le caractère si éminemment littéraire, et même référentiel, de la fiction produit une étrange multiplication de l’effet de réel : le roman vrai d’une voix colérique et meurtrie, entraînée dans l’obsession d’une quête sans répit, à vif, qui commence par un souvenir d’Elseneur au Danemark, sur les territoires shakespeariens et fictifs du vrai-faux fou Hamlet.
C’est un livre du père, tout autant, où Linda Lê règle ses comptes avec celui que la narratric