Notre innocence, cri du cœur de la jeunesse
«Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. » [1] Ainsi Camus inaugurait son fameux Mythe de Sisyphe. Dans Notre innocence, dernier spectacle de l’artiste prolifique libano-canadien Wajdi Mouawad, créé il y a quelques jours au Théâtre de la Colline, dont il est le directeur, pour donner corps à ce problème, il y a Victoire. Victoire, c’est la suicidée dont le nom et le geste provoquent des rapprochements philosophiques vertigineux, des interprétations diverses. Si pour Cioran, dans la lignée de Schopenhauer, la liberté de se suicider est un réconfort, une victoire contre l’insupportabilité de la vie, pour Spinoza elle résulte a contrario d’une servitude à des causes extérieures. Ainsi : Victoire ne serait-elle pas plutôt la défaite de ce groupe d’amis, désemparés, qui refont le fil de leur soirée et de leurs petites médiocrités, qui auraient mené la jeune femme à se défenestrer ?
Le suicide devient alors une fenêtre ouverte sur la représentation que ces dix-huit jeunes gens entre 20 et 30 ans – neuf garçons, neuf filles – ont d’eux-mêmes. Une casuistique en gueule de bois, une exploration de leur culpabilité, une explosion de leurs dissensus. L’un deux joue de la vielle pendant que l’on touche des cordes sensibles. Deux jeunes femmes arabes se font face, l’une avec un « ostie » d’accent québécois, l’autre avec une pointe de marseillais. Toutes deux d’origine algérienne, réunies sur le plateau d’un théâtre national français, elles se font face : leur corps, leurs voix, les histoires suffisent à témoigner de l’Histoire, de ses déchirures, de ses ironies, de ses hasards. Un chant turc réveille quant à lui les blessures kurdes et arméniennes dans l’imaginaire collectif. Et pourtant la jeune fille de demander : qu’ai-je à voir avec ce passé qui ne passe pas, qui n’est même pas passé ?
Mais s’ils se singularisent ainsi, c’est pourtant quelque chose de « la » jeunesse que le spectacle tente de capter : que se dessine-t-il dans ce p