Société

Utopie, dystopie, non-fiction. Faire ville, faire communauté (3/3)

Anthropologue

Le thème des instant cities, ces villes bâties du jour au lendemain, revient dans les débats des urbanistes et architectes d’aujourd’hui, inspirés par l’expérience des campements et autres ZAD. La ville est ré-imaginée sans histoire et sans avenir, comme marquée d’abord par l’immédiateté, l’instantanéité et la précarité. Des réflexions qui rejoignent celles de l’ethnologue qui se demande ce que « faire ville » veut dire, elles permettent de penser la ville en se libérant de la contrainte du réel et du présent, comme le font le plus librement les fictions post-catastrophe.

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Avec la montée des incertitudes et des formes de vie précaires dans toutes les régions du monde et plus particulièrement dans les contextes migratoires, le thème des instant cities (villes « instantanées », bâties « du jour au lendemain ») revient dans les débats des urbanistes et architectes d’aujourd’hui, et peuvent aider à penser la ville de demain en général. Le thème est ancien, apparu dans les années 1960 et 1970, d’abord avec l’histoire des villes du far west américain, nées « en un jour » et très vite grandies et développées comme le racontent les récits de San Francisco ou Denver[1] dans lesquels des migrants arrivaient et traçaient leurs nouvelles vies conquises sur des espaces nus.

À la même époque, des architectes anglais (Peter Cook et le groupe Archigram) s’inspiraient des lieux de rassemblements et de festivals précaires comme Woodstock pour imaginer des villes elles-mêmes mobiles – une utopie de ville faite plutôt d’objets, d’images et de sons transposables que de formes matérielles fixes. Troisième forme desdites instant cities, bien différente en apparence, celle qui est allée des villes de l’instant aux « villes fantômes », à l’instar des utopies graphiques des villes hors-sol construites en Asie, dans le Golfe persique et au Moyen-Orient principalement, sur le modèle de Dubaï.

Nous sommes aujourd’hui dans une autre mise en œuvre de ce modèle. En 2015, la Cité de l’architecture et du patrimoine montrait l’exposition « Habiter le campement » qui réincarnait très concrètement le concept à travers les rassemblements festivaliers (la « ville » de trois jours du festival Burning Man aux États-Unis) mais aussi les campements de yourtes pour les travailleurs migrants, les campings et mobile homes pour touristes et travellers, ou les camps-villes pour réfugiés[2]. Allant plus loin dans la même démarche, le groupe Actes et Cité publie en 2018 l’ouvrage La ville accueillante[3] où, inspirées de l’expérience du « camp humanitaire » de la ville de


[1] Dans l’étude que leur a consacrée Gunther Barth (Instant Cities: Urbanization and the Rise of San Francisco and Denver)

[2] Voir le catalogue de l’exposition, Habiter le campement (sous la direction de Fiona Meadows), Cité de l’architecture et du patrimoine/Actes Sud, 2016.

[3] Cyrille Hanappe (dir.), La Ville accueillante, PUCA, 2018.

[4] L’architecte Rem Koolhaas a introduit dans les années 90 le concept de « ville générique » : planétaire, mimétique, elle reproduit à l’infini le même modèle de circulations et consommations dans de vastes conurbations aux « sensations faibles et distendues » (l’aéroport en est un quartier si ce n’est le centre) ; « post‑ville » sans histoire et sans identité, « son principal attrait est son anomie » (Rem Koolhaas, « La ville générique » dans Junkspace, Payot, 2011, p. 43-77).

[5] Georges Candilis, Bâtir la vie : un architecte témoin de son temps, Paris, Infolio, 2012, p.304.

Michel Agier

Anthropologue, Directeur d'études à l'EHESS, Directeur de recherche à l'IRD

Notes

[1] Dans l’étude que leur a consacrée Gunther Barth (Instant Cities: Urbanization and the Rise of San Francisco and Denver)

[2] Voir le catalogue de l’exposition, Habiter le campement (sous la direction de Fiona Meadows), Cité de l’architecture et du patrimoine/Actes Sud, 2016.

[3] Cyrille Hanappe (dir.), La Ville accueillante, PUCA, 2018.

[4] L’architecte Rem Koolhaas a introduit dans les années 90 le concept de « ville générique » : planétaire, mimétique, elle reproduit à l’infini le même modèle de circulations et consommations dans de vastes conurbations aux « sensations faibles et distendues » (l’aéroport en est un quartier si ce n’est le centre) ; « post‑ville » sans histoire et sans identité, « son principal attrait est son anomie » (Rem Koolhaas, « La ville générique » dans Junkspace, Payot, 2011, p. 43-77).

[5] Georges Candilis, Bâtir la vie : un architecte témoin de son temps, Paris, Infolio, 2012, p.304.