Albert Serra à la Volksbühne : réussi au regard d’une erreur
Le Catalan Albert Serra est un peu connu des non-cinéphiles depuis La Mort de Louis XIV (2016), co-écrit avec Thierry Lounas et mettant en scène un Jean-Pierre Léaud sublimement blet sous la perruque du Roi-Soleil. Quoique le réalisateur ait déjà planché pour le Théâtre Lliure de Barcelone en 2010 et 2011 (Pulgasari, sur le cinéaste sud-coréen Shin Sang-ok, enlevé par Kim Jong-il, et Au-delà des Alpes, où Serra incarne un poète sous Louis XIV), sa pièce Liberté, à la Volksbühne de Berlin, est perçue comme son premier effort théâtral. C’est évidemment à cause de la dimension internationale, mais aussi suicidaire, du projet. Suicidaire, car il a beau déclarer dans la plaquette d’accompagnement de la pièce qu’il est allé « à Berlin à cause de la Volksbühne » et que « la Volksbühne est une grande famille », on voit mal, à moins de souffrir du syndrome de Shin Sang-ok finissant par nier son enlèvement, comment Serra pourrait ignorer que l’ancien théâtre de Frank Castorf est une famille décimée, qui a pris ses cliques et ses claques l’été dernier après des mois de lutte contre la nomination de Chris Dercon (ex-directeur de la Tate), emportant même avec elle le célèbre logo de Bert Neumann qui trônait sur la pelouse.
La forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel…
Si vous avez raté le début, la Volksbühne (« théâtre du peuple »), fondée en 1892, est d’abord le théâtre du mouvement ouvrier allemand, liée à l’histoire du parti communiste dans les années 20 et qui, après 1961, se retrouve à l’est du mur. C’est un Allemand de l’Est, Castorf (mais inquiété à l’époque pour une mise en scène déviante de Brecht) qui fait de la Volksbühne après la chute un théâtre « iconique » de Berlin, une machine d’avant-garde (avec Christoph Marthaler, entre autres) mais qui ne renie rien de l’histoire récente de la ville : elle était surmontée d’un néon marqué Ost (« Est ») et la Volksbühne s’engagea entre autres contre la destruction dans les années 2000 d