Nouvelle

Comment une association de charité sexuelle a révolutionné la société française

Doctorante en études politiques

Nous sommes en 2048. Trente ans plus tôt, l’association fouriériste Corps social commençait à mettre en relation des bénévoles et des laissé(e)s pour compte du système sexuel, quel qu’en soit le motif (handicap, désocialisation, inhibition, etc.). On sait combien la société française s’en est trouvée bouleversée, et notamment depuis 2025 lorsqu’eut lieu le « printemps des déflorées ». Rappelons aux jeunes générations que, auparavant, proposer des faveurs sexuelles à un invité comme on propose un café passait pour un affront voire pouvait se révéler illégal. Que se passe-t-il quand le sexe cesse d’être perçu comme une menace ou une inquiétude et qu’au contraire il est charitable et sans conséquence ? Maude Antoine en a imaginé l’utopie. Et l’étude qu’elle pourrait en tirer. Synthèse inédite.

En ce début d’année 2048, on fête en grande pompe les trente ans de Corps social, l’association fouriériste consacrée à la charité sexuelle. C’est l’occasion de revenir sur son développement afin d’analyser la manière dont elle est venue perturber la société d’alors, en amorçant une nouvelle façon de concevoir les liens entre les personnes qui la composent. Nous ne reviendrons pas ici sur le détail des réformes auxquelles elle a donné lieu, que ce soit en matière d’éducation, de filiation, de mariage, ou de sexualité[1]. Nous souhaitons plutôt comprendre comment cette petite association a déclenché une remise en question aussi profonde de notre société, réalisant ainsi le rêve de ceux qui appelaient, au début du siècle, à recréer du lien social.

Le 31 mars 2018, elle est créée dans l’indifférence générale, à une époque où la misère sexuelle était encore conçue comme un malheur choisi ou mérité, auquel il fallait se résigner. Corps social considérait au contraire que la sexualité était une nécessité humaine trop importante pour être livrée aux aléas du marché érotique. Elle a donc cherché à prendre en charge les laissés pour compte du système sexuel d’une manière compatible avec la législation française de la fin des années 2010. À l’époque, la prostitution semblait être le seul moyen de palier à la misère sexuelle : or c’était un moyen dont on ne voulait pas entendre parler. Par exemple, lorsqu’en 2013 des associations d’handicapés revendiquèrent un droit à l’assistance sexuelle, le Comité consultatif national d’éthique rendit un avis défavorable sous prétexte qu’« il ne peut être considéré comme éthique qu’une société instaure volontairement des situations de sujétion [la prostitution] même pour compenser des souffrances réelles »[2]. La France allait ensuite durcir sa position et pénaliser les clients des prostitué(e)s dans une loi de 2016. Pour échapper aux législations répressives d’alors, l’idée de philanthropie sexuelle, empruntée au réformateur socialiste Cha


[1]Pour un aperçu de toutes ces évolutions juridiques, voir le brillant ouvrage de Jean Révit-Impat (2043), La Fin de la famille anti-sociale ; le nouveau paradigme du droit de la famille depuis les années 2030, PUF ; pour une approche plus philosophique voir celui d’Anne Ampadoutet (2039), Par-delà individualisme et collectivisme, coll. « NRF Essais », Gallimard.

[2]Avis 118 du 04/10/2012, Comité consultatif national d’éthique, « Vie affective et sexuelle des personnes handicapées. Question de l’assistance sexuelle ».

[3]L’évaluation se fait selon deux axes : l’art de l’étreinte sexuelle et la mise en confiance.

[4]Savoir ce que devait recouvrir ce minimum sexuel a fait l’objet de nombreux questionnements. À l’époque on peinait à envisager un rapport sexuel sans pénétration, mais il est apparu évident qu’il fallait assouplir la notion. On a ainsi considéré que le minimum sexuel correspondait aux étreintes sexuelles manuelles. En réalité, la forme de la prestation sexuelle était à l’entière discrétion du bénévole et selon les goûts des nécessiteux(ses), depuis la simple étreinte jusqu’à des pratiques plus sophistiquées.

[5]Voir Rapport d’information de l’Assemblée nationale n°3334 du 13 avril 2011, présenté par M. Guy Geoffroy, Mission d’information sur la prostitution en France, et Rapport d’information du Sénat n° 209 du 31 janvier 2001, présenté par Mme Dinah Derycke, Les politiques publiques et la prostitution.

[6]En réalité, l’objection de parité s’adressait seulement aux nécessiteux. Les bénévoles étant plus ou moins assimilés à des prostitué(e)s, il aurait été incongru de saluer les efforts entrepris pour « assujettir » autant les hommes que les femmes. Il n’en reste pas moins qu’il était alors beaucoup plus facile de recruter des bénévoles hommes que des bénévoles femmes.

[7]Si le ton a été donné par les bénévoles hommes, cela ne signifie pas que les bénévoles femmes ne prenaient pas de plaisir. Celui-ci était simplement plus coupable, moins assumé. Elles av

Maude Antoine

Doctorante en études politiques

Rayonnages

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Notes

[1]Pour un aperçu de toutes ces évolutions juridiques, voir le brillant ouvrage de Jean Révit-Impat (2043), La Fin de la famille anti-sociale ; le nouveau paradigme du droit de la famille depuis les années 2030, PUF ; pour une approche plus philosophique voir celui d’Anne Ampadoutet (2039), Par-delà individualisme et collectivisme, coll. « NRF Essais », Gallimard.

[2]Avis 118 du 04/10/2012, Comité consultatif national d’éthique, « Vie affective et sexuelle des personnes handicapées. Question de l’assistance sexuelle ».

[3]L’évaluation se fait selon deux axes : l’art de l’étreinte sexuelle et la mise en confiance.

[4]Savoir ce que devait recouvrir ce minimum sexuel a fait l’objet de nombreux questionnements. À l’époque on peinait à envisager un rapport sexuel sans pénétration, mais il est apparu évident qu’il fallait assouplir la notion. On a ainsi considéré que le minimum sexuel correspondait aux étreintes sexuelles manuelles. En réalité, la forme de la prestation sexuelle était à l’entière discrétion du bénévole et selon les goûts des nécessiteux(ses), depuis la simple étreinte jusqu’à des pratiques plus sophistiquées.

[5]Voir Rapport d’information de l’Assemblée nationale n°3334 du 13 avril 2011, présenté par M. Guy Geoffroy, Mission d’information sur la prostitution en France, et Rapport d’information du Sénat n° 209 du 31 janvier 2001, présenté par Mme Dinah Derycke, Les politiques publiques et la prostitution.

[6]En réalité, l’objection de parité s’adressait seulement aux nécessiteux. Les bénévoles étant plus ou moins assimilés à des prostitué(e)s, il aurait été incongru de saluer les efforts entrepris pour « assujettir » autant les hommes que les femmes. Il n’en reste pas moins qu’il était alors beaucoup plus facile de recruter des bénévoles hommes que des bénévoles femmes.

[7]Si le ton a été donné par les bénévoles hommes, cela ne signifie pas que les bénévoles femmes ne prenaient pas de plaisir. Celui-ci était simplement plus coupable, moins assumé. Elles av