David Graeber : « La plupart des gens trouvent leur travail complètement inutile »
On retrouve David Graeber dans les salons de la Fondation Hugo, qui accueille les professeurs étrangers invités au Collège de France. Il vient d’arriver de Londres, où il enseigne à la London School of Economics depuis que Yale s’est séparé de lui, et qu’il n’a pu trouver d’autre poste dans une université américaine. La première chose qui l’intéresse, c’est la grève prévue le lendemain. La discussion s’engage sur les évolutions qui touchent le travail et donc les mobilisations sociales. RB
Votre conférence au Collège de France, le 22 mars, était intitulée Utilité et inutilité du travail sous titrée The Revolt of the caring classes. Pourquoi cette approche utilitariste du travail ?
Je voulais juste l’appeler The Revolt of the caring class, mais on m’a dit que ça ne passait pas en français, apparemment c’est intraduisible. On y reviendra peut-être. En tout cas cette idée d’utilité, ou d’inutilité du travail, je la tire de mes travaux sur les Bullshit jobs. Ce que j’avais découvert alors, c’est que les gens ont un sens aigu de la valeur sociale. Ils peuvent dire « mon travail n’a aucun sens, il ne fait aucune différence, il ne contribue d’aucune façon au bien du monde ». Ce que ça montre, c’est qu’il y a bien une idée commune de ce qu’est la « valeur sociale ». Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que la théorie économique de l’utilité nous dit qu’à partir du moment où on est payé pour accomplir une tâche, elle doit nécessairement avoir une utilité, au moins pour votre employeur. Et donc c’est un peu « ferme là et fais ce qu’on te dit… ». Il y a donc une contradiction entre cette idéologie, que la plupart des gens acceptent d’ailleurs en principe, mais qui entre en contradiction avec leur expérience directe du travail. C’est cette contradiction que je trouvais intéressante et que je voulais explorer.
Cette réflexion sur la « valeur sociale », que vous apporte-t-elle dans votre métier d’anthropologue ?
J’ai écrit un livre entier sur la « valeur » – qui n’a d’ail