Cinéma

Danse en puissance – à propos d’un film de Patric Chiha sur Crowd de Gisèle Vienne

Journaliste

Avec Si c’était de l’amour, qui vient de recevoir le Teddy Award du meilleur documentaire à la Berlinale, Patric Chiha suit le spectacle Crowd de Gisèle Vienne. Une œuvre en soi – nul besoin de connaître la pièce chorégraphique pour en ressentir la puissance – explorant les enjeux de la contamination de l’art et de la vie, du réel et de la fiction, comme des possibles de la danse.

Dans les coulisses, une jeune femme vêtue d’un k-way, filmée de profil et en plan taille traverse lentement l’espace, tandis que derrière elle un homme se tient avec un pulvérisateur. Ayant tous les atours d’un régisseur technique (vêtements sombres, lampe frontale passée autour du cou), il attend. Tandis qu’une deuxième jeune femme suit la première, un homme s’approche du technicien, et ce dernier commence à humidifier le visage et le buste du danseur à l’aide de son vaporisateur. Une fois terminé, c’est un autre interprète qui prend sa place.

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Ainsi de suite, les artistes de Crowd, vêtus pour la majorité de tenues évoquant les années 90 vont se succéder auprès du technicien juste avant d’entrer en scène. Si lui danse parfois légèrement au rythme de la musique, ou réprime un sourire face à une adresse venue hors-champ, l’on comprend qu’il n’est pas dans le même temps que les autres. Ses gestes sont « normaux », en ce que leur rapidité répond à l’efficacité recherchée dans sa tâche. Les mouvements des danseurs, au contraire, sont lents, décomposés, au ralenti. Cela qu’ils ouvrent les bras pour l’humidification, se protègent le visage en mettant leur main en visière, qu’ils s’étreignent entre eux ou se glissent quelques phrases.

Et si c’était déjà de la danse ? C’en est bien, en effet, et d’une durée de presque cinq minutes, cette séquence inaugurale de Si c’était de l’amour de Patrick Chiha condense ce que le film va déplier jusqu’au trouble : la porosité entre le spectacle et la vie ; la contamination de l’une par l’autre et inversement ; l’effacement des frontières permettant de différencier ce qui relève du spectacle comme du travail et des vies des interprètes.

Cinéaste autrichien né en 1975 et ayant étudié à Paris et Bruxelles, Patric Chiha signe avec Si c’était de l’amour son quatrième long-métrage. Après avoir suivi dans Brothers Of The Night (2016), son précédent (et sublime) film documentaire des jeunes bulgares roms se prostituant dans des bars g


[1] Xavier Baert, « Quelques intensités du film de danse », revue Vertigo, numéro Hors-série Danses, octobre 2005.

[2] Filmer la danse, sous la direction de Jacqueline Aubenas, éd. La Renaissance du Livre, 2007.

Caroline Châtelet

Journaliste, critique

Notes

[1] Xavier Baert, « Quelques intensités du film de danse », revue Vertigo, numéro Hors-série Danses, octobre 2005.

[2] Filmer la danse, sous la direction de Jacqueline Aubenas, éd. La Renaissance du Livre, 2007.