Comment s’en sortir sans sortir – sur le récital de Gherasim Luca
Et les animaux, non, ne tombèrent pas malades de la peste, pas davantage les ani-mots zélés de Gherasim Luca, l’homme qui s’oralisa sa vie durant jusqu’à se volatiliser en 1994, à l’âge de 80 ans, décidant en conscience de se jeter dans la Seine comme son ami Paul Celan vingt-quatre ans avant lui – dernier acte qui intervint quelques temps après qu’il eut subi une mesure d’hygiène sans doute raisonnable mais qui fut tout sauf salutaire.
Le vieil atelier parisien dépourvu d’eau chaude que ce rescapé de la Shoah né en Roumanie occupait depuis son installation définitive à Paris dans les années 50 ayant été décrété insalubre, il lui avait fallu pour obtenir un relogement renoncer à son statut d’apatride et adopter la citoyenneté française. Une rupture douloureuse, pour ce grand poète vivant sur le fil de l’exil depuis des lustres, qui avait choisi d’habiter la langue française pour mieux récuser toute forme d’assignation à résidences identitaires : il les savait non seulement mortifères, mais toujours potentiellement mortelles.
Reprenons, cependant. Ni les animaux ni les ani-mots ailés ne sont donc tombés malades, ces jours-ci, mais les mots, oui, les mots de tout un chacun, les miens, les vôtres sans doute, confinés en phrases contaminées, les mots manquent d’air et nous voilà communiquant le mal autant que nous dissertons dessus à tort et à raison, tous tournés d’une nuit l’autre spécialistes effarés de la chloroquine en rupture de stock comme en 1914 les duchesses de Proust se métamorphosèrent en stratèges militaires d’un soir au matin, tous parlant couramment avant de nous en apercevoir une langue phagocytée par les « geste-barrière » (pardon ?) et autres « dénigrement-du-masque », ce masque dont sont démunis les anonymes héroïques de la santé ou ceux du commerce alimentaire, et comment ne pas compatir à les voir essayant d’effiler leur profil traits tirés, les épaules nouées loin derrière leurs caisses : l’homme est un virus pour l’homme autant qu’un lo