Virus et libertés
À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Face à l’ampleur des risques sanitaires provoqués par le Covid-19, la question de l’adoption de l’état d’urgence s’est rapidement posée aux États pour endiguer l’essor de l’épidémie. En Europe, l’Italie fut le premier pays à le décréter, avant que la France, l’Espagne, le Portugal et d’autres pays ne lui emboîtent le pas. Aux États-Unis, les gouverneurs des 50 États ont déclaré le « state of emergency », tandis que Donald Trump se décidait, après de multiples tergiversations, à recourir au Defense Production Act, une loi d’exception prévue pour les temps de guerre, donnant au gouvernement fédéral le pouvoir de forcer les entreprises à se mettre au service de la défense nationale.

Si une menace sanitaire constitue un péril aussi grave que la guerre, alors la suspension du droit commun paraît légitime pour donner aux gouvernements les pouvoirs nécessaires à la défense de la société. L’état de nécessité justifie l’état d’exception. Ce temps schmittien de la vie nationale, déjà envisagé sous la Rome antique sous la forme du justitium, donne un cadre légal à la limitation des libertés individuelles pendant une durée préalablement établie, comme celles d’aller et venir, de réunion et d’entreprendre. Il permet également aux gouvernements de dégager des moyens budgétaires exceptionnels, de procéder à la réquisition de biens, de fermer des lieux publics ou privés et de prendre diverses mesures contraignantes qui, en temps normal, seraient vécues comme des atteintes aux droits les plus élémentaires.
En France, en mars 2020, pour la première fois, le régime d’état d’urgence est décrété pour gérer une crise sanitaire exceptionnelle. Dans les situations de péril imminent, la « sécurité sanitaire » de la population devient une affaire de « sécurité publique ». L’urgence justifie la suspension de l’application des lois, tant que les mesures prises restent prévues par la loi, proportionnées à la menace et non discriminatoires (