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Le Monde du virus – une performance géographique

Géographe

Le coronavirus SARS-CoV-2 se révèle un opérateur géographique global qui agit sur le « Système-Monde ». Dès que quelque chose advient quelque part, cela déclenche des réactions partout, avec des effets parfois sans commune mesure avec l’impulsion initiale. Dès lors plus rien n’est insignifiant, le moindre fait recèle un potentiel imprévisible. L’actualité s’affole et le récit de la mondialisation s’en trouve perturbé.

De manière aussi remarquable qu’inattendue, Sars-Cov-2 a réussi à entraver en quelques semaines la marche du système-Monde. Nous restons encore un tantinet incrédule qu’un micro-organisme transitoire, inconnu au bataillon, qui a besoin d’un corps vivant pour se pérenniser en se multipliant, ait pu s’imposer comme opérateur géopolitique global et agir bien au-delà de son ordre de grandeur qui est celle des individus qu’il contamine, et bien au-delà aussi de sa sphère d’action qui est celle des organismes infectés, pas celle des mobilités, des activités de production et des marchés mondiaux, ni celle des politiques monétaires des banques centrales.

Un telle puissance d’intervention du virus est d’origine géographique, car il tire parti des caractéristiques du Monde contemporain et s’affirme comme un « opérateur spatial » redoutable, sans rival à ce jour, c’est-à-dire une entité qui réalise des opérations spatiales (ici des transmissions interpersonnelles importantes qui rendent possible une diffusion épidémique de grande portée), dotées d’effets spectaculaires sur toutes les autres entités auxquelles il se lie – lui fussent-elles incommensurables.

Le Monde comme système

Pour le comprendre, il faut rappeler ce qu’est le Monde : un nouveau mode de spatialisation des sociétés, une mutation dans l’ordre de l’habitation humaine de la planète – et c’est pourquoi il est judicieux de l’écrire avec une majuscule, pour réserver le mot avec minuscule à ce qui ressortit au mondain, au social[1]. C’est une révolution, d’ampleur comparable en un sens à celle du néolithique, ou à la révolution industrielle – deux périodes lors desquelles les humains ont installé des cadres d’existence radicalement neufs. Et cette fois-ci, il s’agit d’une révolution urbaine : l’urbanisation généralisée, enclenchée dans sa phase la plus active après 1950, avec une accélération depuis 1990, est la force instituante et imaginante du Monde contemporain, elle est tout à la fois mondialisée et mondialisante.

Même si l’approche démographique est la plus facile et immédiate – désormais 57% environ de la population du globe, c’est-à-dire plus de 4 milliards de personnes, vivent dans des ensembles urbains – elle n’assure pas de saisir convenablement le processus d’urbanisation qui ne peut pas non plus être réduit au constat de l’expansion matérielle des villes. Car il s’agit bien plutôt de la mise en place d’un système géographique englobant, qui s’exprime en tout point de la terre par le remplacement des modes d’organisation des sociétés et des formes de vie qui furent longtemps dominants (la ville et la campagne) par d’autres modes et formes de vie : ceux de l’urbain globalisé, au sein duquel tant l’économie, que les structures sociales et culturelles, les expressions et  pratiques politiques, les manières de vivre, de penser, de ressentir, les temporalités, les espaces et les spatialités sont nouvelles — cela écrit sans allégorie ni péjoration. L’environnement bio-physique est lui-même bousculé par une urbanisation qui paraît un vecteur principal du changement global et de l’entrée dans l’anthropocène.

Ainsi, un Monde s’est installé ; un système, donc, d’une grande complexité puisqu’il déploie spatialement et relie « systématiquement » des réalités et des phénomènes qui ressortissent au social, au biologique, au physique. Nous avons construit historiquement, nous les humains, une réalité de taille terrestre où tout est interagissant, où plus aucun phénomène n’est indépendant des myriades de phénomènes qu’il active en retour dès qu’il se manifeste.

Le Monde est donc un buissonnement d’interdépendances géographiques où, dès que quelque chose advient quelque part, cela déclenche des réactions partout où des liens sont activés par cette advenue et dont les effets peuvent être sans commune mesure avec l’impulsion initiale. Plus rien n’est insignifiant, le moindre fait recèle un potentiel imprévisible. Le premier virus qui infecte le patient zéro, dans l’anonymat d’une pandémie encore en germe, c’est l’équivalent du battement d’aile de papillon évoqué en 1972 par le météorologue Edward Lorenz lors d’une conférence célèbre intitulée : « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ». Ici, plus fort encore, l’accroche des spicules du virus à la muqueuse du patient zéro va provoquer une crise mondiale. Lorenz théorisait « l’effet papillon », nous éprouvons l’effet virus.

Toutefois, il n’existe pas une chaîne causale directe entre l’action de Sars-Cov-2 et la crise mondiale. Si le virus ne provoque pas mécaniquement l’arrêt du fonctionnement du Monde, en revanche, en devenant vecteur d’épidémie, d’abord en Chine, dans la région de Wuhan (et on commence à penser qu’il pourrait y être actif dès le début de l’automne 2019), il a enclenché des boucles de rétroactions puissantes qui ont rapidement fait passer des « seuils critique » (ce que les anglophones nomment des tipping points, des « points de basculement ») à des sous-ensembles du système mondial.

Ici par exemple, lorsque des paliers de nombre de malades sont dépassés et que la courbe de croissance des cas et des décès devient non plus arithmétique mais géométrique, des seuils sont franchis et tout bascule. Des espaces géographiques entiers deviennent « contaminés » et l’épidémie s’y nourrit d’elle-même, comme on l’a vu à Wuhan, en Lombardie, autour de Mulhouse, de Madrid, à New York etc. Ces foyers apparus, ils deviennent diffusifs, les rétroactions s’accentuent encore plus. Des régions s’arrêtent, les activités se figent, les réseaux de relations nationales et globales se grippent, tout ce qui était censé assurer l’efficacité fonctionnelle du Monde se dérègle imparablement et bientôt plus rien ne paraît aisément contrôlable et encore moins réversible.

Le succès épidémique du virus a provoqué une « émergence systémique » inédite : notre situation actuelle, si étrange, dont on ne sait rien de ce qui en résultera. Impossible à prédire avec certitude, elle est arrivée de manière contingente (même si on pourra rétrospectivement découvrir ses conditions de possibilité) : toutefois on pouvait/devait savoir que la probabilité de ce genre d’événement était non nulle et s’y préparer – cette préparation qui a tant fait défaut dans la plupart des pays, sauf là où les enseignements d’épisodes précédents avaient été intégrés dans les dispositifs ad hoc, comme Frédéric Keck[2] le montre à partir des cas de Singapour, de Hong Kong et de Taïwan.

Le virus, voyageur urbain

Le virus est performant car il tire parti des caractéristiques de puissance et d’efficacité du Monde urbanisé, qu’il transforme en facteurs de vulnérabilité. Il prospère d’abord là où les concentrations de populations et les liens sociaux sont forts (même si avec l’expansion de la maladie, on constate que des espaces moins urbanisés finissent par être concernés, c’est le cas notamment aux États-Unis). Au sein même des agglomérations touchées, on recense des foyers épidémiques virulents dans des lieux de rassemblements marqués : temples, églises, stades, carnavals, marchés couverts. Notre virus s’épanouit avec la coprésence et l’interaction sociale intense.

La géographie virale suit donc celle de l’urbanisation planétaire et surtout emprunte les réseaux de liens que celle-ci installe. Car Sars-Cov-2 s’avère comme beaucoup d’entités vivantes opportunistes parfaitement adapté à la « mobilisation générale » qui est fondamentale dans notre système-Monde, où tout et tous et toutes circulent tout le temps, partout et par tous les moyens. Il se comporte comme le moustique-tigre par exemple qui est lui aussi, on le sait, un grand voyageur suivant les lignes des transports des individus et des marchandises. Notons que le caractère d’entité vivante du virus ne fait pas l’unanimité, puisqu’il ne peut se passer des corps qu’il infecte pour se multiplier : sans véhicule d’un autre organisme, il disparaît, ce qui n’est pas le cas du moustique – n’entrons pas dans ce débat, et contentons-nous d’admettre que le virus est à sa manière un emblème des entrelacements qui sont, quant à eux, assurément essentiels à la dynamique du vivant.

Si les êtres humains ont toujours eu la bougeotte, comme on l’observe dès la préhistoire, l’urbanisation contemporaine a provoqué une explosion mobilitaire : pour chaque individu, se mouvoir est une activité fondamentale – et la croissance de la population mondiale ne se démentant pas, il y a sans cesse plus d’habitants qui aspirent à bouger plus, et en font même un droit.  Logiquement, le virus est devenu très rapidement un passager clandestin planétaire, qui emprunte tous les modes de circulations possibles en accompagnant ses hôtes qui le transportent. Il a beaucoup pris l’avion, mais pas que. Il a fructifié de toutes les combinaisons mobilitaires que les humains, devenus des logisticiens de leur vie quotidienne, composent désormais de façon ordinaire.

De ce fait même, il est normal que le tourisme ait été un véhicule idéal de diffusion tant il est mondialisé et massifié – c’est une activité mobilitaire du grand nombre et de la proximité. Ainsi, par exemple, les croisiéristes en quarantaine dans leurs paquebots avaient d’abord utilisé la voiture, le train, des vols low cost, d’autres navires – idem pour leur retour, compliqué, au bercail. Et le virus de voyager avec eux et de se connecter à d’autres touristes ou à des quidams croisés par hasard.

Ainsi, notre Sars-Cov-2 a joui de « l’hyperspatialité » qui s’est imposée comme un principe moteur de la mondialité : tout opérateur spatial qui se tient quelque part et/ou se déplace est, en raison de l’importance des mobilités et des connexions matérielles et/ou numériques, potentiellement connecté à un nombre indéfini d’autres. Le virus s’est épanoui avec cette hyperspatialité qui a assuré l’empan mondial de l’épidémie, en lui autorisant à s’épancher hors de son lieu circonscrit initial, et a permis le forçage adaptatif du système-Monde qui explique que la diffusion virale puisse provoquer une crise globale.

L’hyperspatialité permet de comprendre ce que j’appellerai « l’hyperscalarité » de Sars-Cov-2 : il est actif à toutes les échelles synchroniquement. Il est présent et agissant à la fois et dans le même temps à son échelle de micro-organisme, tout occupé à assurer sa viabilité, à l’échelle de chaque corps qu’il infecte, à l’échelle des aires urbaines où l’épidémie se diffuse, à l’échelle des États qui organisent le confinement en parade à cette expansion accélérée et généralisée, à l’échelle du Monde sous stress devant l’avancée inexorable et fulgurante de la pandémie. La géographie du virus c’est bien cet arrangement de tous ces espaces dont l’ordre de grandeur, les métriques et les logiques internes sont incomparables. Ils se trouvent pourtant associés par l’opération virale hyperspatiale, hyperscalaire et qui synchronise et « synchorise ».

Je reprends ici, en l’infléchissant quelque peu, le concept de synchorisation, créé par Boris Beaude à partir du grec ancien Chora (qui désigne, peu ou prou, l’espace de vie), pour définir le pendant spatial de la synchronisation. L’épidémie synchronise, donc, puisqu’elle assure la concordance de temps très différents : celui de chaque virus est très court, et n’a rien à voir dans l’absolu avec celui des cycles économiques, ou celui de l’urbanisation, celui de l’évolution des écosystèmes appauvris par l’agro-industrie, etc. Pourtant, tout cela se noue dans une configuration temporelle qui est celle de la pandémie. Et la diffusion du Covid « synchorise » puisqu’elle arrange et ajuste des espaces qui, eux aussi, sont dissemblables et le restent, car cet ajustement ne fait pas disparaître leurs différences.

Un milieu urbain propice

C’est la raison pour laquelle, on doit porter attention à la spécificité des déploiements épidémiques régionaux et locaux. Il est encore difficile d’analyser précisément et de comprendre ces différences. Mais il paraît plausible que les modalités de l’urbanisation propres à une contrée donnée jouent un rôle. Si l’on s’arrête sur le cas de la Lombardie et de la Vénétie, où l’impact de la maladie surprend par son ampleur, on constate que ce vaste périmètre forme une méta-organisation urbaine complexe qui associe, schématiquement :

1. De nombreuses villes anciennes souvent dynamiques, attractives, quoique de tailles très différentes, égrenées régulièrement d’Ouest en Est, parallèlement au fleuve Pô, de Milan à Venise, chacune au caractère marqué et constituant un foyer d’une large périurbanisation locale autonome »  ;

2. Des espaces d’activités très étendus, déployés quasiment en continu de part et d’autre de l’autoroute A4 et de la voie ferrée ­– axes structurants de tout cet ensemble Lombard et Vénète, desservi par un maillage serré de voies de communication – et scandés par des hyper-lieux (aéroports, centres commerciaux) et des clusters industriels et productifs majeurs ;

3. Des aires urbanisées qui s’étalent très largement aux marges nord et sud de ces deux premiers espaces axiaux, jusqu’à de grandes distances, ainsi que dans les « creux » qu’ils laissent subsister. On découvre là des périmètres plus interstitiels, diffus, poreux, (notamment vers les Alpes), marqués par l’agriculture, en même temps que très connectés aux deux autres (1 et 2). Par exemple Bergamo, une des polarités urbaines importantes (tant par le rayonnement de sa fameuse « Città Alta » perchée sur un mont, que par celui du gigantesque « Mall Oriocenter » en contrebas qui jouxte l’aéroport spécialisé dans les vols low cost, vite devenu un point d’entrée touristique majeur en Italie), est très reliée depuis des lustres à des confins, au Nord, déjà montagnards et agro-pastoraux mais pas enclavés.

Voilà un grand territoire à la fois multicentrique et éparpillé, dense et hétérogène, où les interconnexions sont très fortes. Véritable centre de gravité économique de la péninsule et une des régions les plus productives d’Europe, intégrée aux dispositifs de production globalisés, il est sillonné en permanence par des flux de personnes, de marchandises, de données. Les villes y sont des creusets historiques d’une sociabilité intense, à la fois intra et interfamiliale, inclusive des enfants et des personnes âgées, où la proximité et la civilité de contact sont valorisées – et cela compte pour beaucoup dans l’établissement de cette ambiance et de cette culture incomparable de la città, au fondement de l’attrait qu’exercent la Lombardie et la Vénétie.

Le tourisme national et international est important au sein de ce système, en raison de la concentration de cités patrimoniales parmi les plus réputées au Monde et du prestige de grands événements culturels (biennales, triennales) et « créatifs » – rappelons que Milan, métropole mondiale, draine un tourisme très lié à la mode et au design. Les visiteurs asiatiques et chinois sont légion, ce qui donne du crédit à l’hypothèse d’une introduction touristique précoce du virus, redoublant celle liée aux activités manufacturières et commerciales. La lente progression souterraine de la maladie aurait préparé sa flambée, à partir de la mi-février. À cet égard, les matchs de football (pas seulement ceux de la série A), dont on sait l’importance et la popularité dans ces secteurs, auraient également été particulièrement favorables aux contaminations simultanées de nombreuses personnes.

Par ailleurs, si l’on observe que des foyers épidémiques se sont déclarés dans des villes secondaires, souvent petites et apparemment un peu à l’écart, elles s’avèrent en réalité toujours reliées aux aires majeures et aux hyper-lieux qui polarisent le système[3]. Ajoutons une population vieillissante, notamment celle des villes secondaires précitées, donc très exposée à la surmortalité liée au Covid-19, et des dispositifs hospitaliers publics solides mais sous-dimensionnés pour faire face à un tel phénomène, les ingrédients sont réunis pour une épidémie brutale, qui a trouvé un « milieu urbain » propice en raison de l’intensité relationnelle qui le caractérise.

On soulignera cependant que les caractères qui pourraient expliquer cette exposition accrue de la Lombardie et, dans une moindre mesure, de la Vénétie à la pandémie sont également ceux qui leur confèrent en période ordinaire leur urbanité et leur dynamisme. Les craintes du moment ne devraient pas pousser à condamner définitivement des configurations historiques, spatiales et sociales qui ont fondé des cultures citadines spécifiques. La même prudence en matière d’extrapolation et de prospective serait au demeurant utile pour ce qui est de l’avenir du système-Monde dans son intégralité.

Une épreuve sémiologique

Désormais, le Covid-19 suscite une véritable dramaturgie globalisée, diffusée en permanence, à laquelle contribuent les médias audiovisuels, la presse, les réseaux et plates-formes numériques, mais aussi les canaux informationnels des acteurs mondiaux comme l’OMS, les revues scientifiques internationales, etc. Dans le cadre d’une prolifération communicationnelle sans équivalent, chacun est appelé à suivre en « temps réel » un spectacle exclusif – et à donner son avis : la progression inéluctable de la maladie, qui nous parle de l’existence d’un péril imminent pour le Monde.

Si l’épidémie est une alerte sanitaire doublée d’une affaire politique, elle est aussi une épreuve informationnelle et sémiologique, qui vient dégrader les systèmes de signes et les logiques de sens avec lesquelles nous avions habitude de cadrer jusque-là le Monde et l’expérience que nous pouvions en avoir. Elle produit des signes et des significations altérés par rapport à l’imagination géographique standard de notre contemporanéité. Le Sars-Cov-2 s’est mué en personnage principal d’une autre histoire que celle qu’on a l’habitude d’écouter, il affole l’actualité et perturbe le récit officiel de la mondialisation.

Mais la pandémie brouille aussi les descriptions (textuelles et statistiques) de l’état « normal » du Monde ; elle bouscule même ses figurations et en propose de nouvelles, comme ces cartes produites pour suivre 24 heures sur 24 la progression du virus ou encore les vidéos curieusement fascinantes, prises par drone, d’espaces urbains désertés, de villes quasi-mortes, comme abandonnées. Elle trouble le genre des discours et des images possibles du Monde et nous voilà simultanément bombardés d’informations et en perte de référents pour qualifier ce qui nous arrive et ce qui va advenir.

On pourrait ainsi « modéliser » la pandémie comme une perturbation sémiologique globale, qui débute avec l’infection du patient zéro, sans doute beaucoup plus tôt que ce qu’on a cru au départ, aux alentours des débuts de l’automne 2019, dans le Hubei, par ce qui était au départ un virus inconnu. Cela fut la première altération de l’information spatiale, ici à l’échelle du corps du malade. D’ailleurs on ne comprend pas alors ce qui arrive, on dissimule ce qui semblait « insignifiant » mais néanmoins embarrassant, première erreur « herméneutique » qui ouvre une longue série, dans le cadre d’une pandémie où les conflits de qualification des faits et d’interprétation sont constants et centraux. Depuis janvier et la décision de placer Wuhan en quarantaine, acte performatif qui a changé l’état du Monde, depuis lors désorienté, une quantité infinie de données, de rhétoriques, de prises de parole, d’écrits, d’opinions, de visuels, vient recouvrir tout autre discours préexistant. Plus rien de ce qui se passait quelques semaines auparavant ne semble avoir encore de portée.

Ainsi, de même qu’un virus provoque une réaction immunitaire dans un corps en brouillant l’information et son traitement par l’organisme, l’épidémie de Coronavirus provoque une sorte de « réaction immunitaire » du système-Monde en perturbant les dispositifs de signification et les instruments de compréhension utilisés jusque-là. Tout devient alors insensé et nous assistons sidérés, submergés par l’émotion, au drame en mondovision de la « guerre » en cours. Le Monde a la fièvre et nous gardons la chambre.

 


[1] Michel Lussault, L’avènement du Monde. Essai sur l’habitation humaine de la terre, Paris, Le Seuil, 2013.

[2] Frédéric Keck, Avian Reservoirs. Virus Hunters and Birdwatchers in Chinese Sentinel Posts, Duke University Press, 2020. A paraître en Français : Les sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine, aux éditions Zones sensibles.

[3] Emanuella Casti et Fulvio Adobati (dir.), « Pourquoi Bergame ? Analyser le nombre de testés positifs au COVID-19 à l’aide de la cartographie. De la géolocalisation du phénomène à l’importance de sa dimension territoriale. », Antropocene2050, Ecole Urbaine de Lyon. https://medium.com/anthropocene2050/pourquoi-bergame-5b7f1634eede

Michel Lussault

Géographe, Professeur à l’Université de Lyon (École Normale Supérieure de Lyon) et directeur de l’École urbaine de Lyon

Notes

[1] Michel Lussault, L’avènement du Monde. Essai sur l’habitation humaine de la terre, Paris, Le Seuil, 2013.

[2] Frédéric Keck, Avian Reservoirs. Virus Hunters and Birdwatchers in Chinese Sentinel Posts, Duke University Press, 2020. A paraître en Français : Les sentinelles des pandémies. Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine, aux éditions Zones sensibles.

[3] Emanuella Casti et Fulvio Adobati (dir.), « Pourquoi Bergame ? Analyser le nombre de testés positifs au COVID-19 à l’aide de la cartographie. De la géolocalisation du phénomène à l’importance de sa dimension territoriale. », Antropocene2050, Ecole Urbaine de Lyon. https://medium.com/anthropocene2050/pourquoi-bergame-5b7f1634eede