Le Monde du virus – retour sur l’épreuve du confinement
À mesure que l’épidémie s’installe, le temps du confinement s’est étiré, à la fois émollient et angoissant. Nous y avons été reclus chez nous, contraints d’endurer une étrange inaction forcée. Bien sûr, les réseaux dits sociaux donnent la possibilité de maintenir les contacts et même parfois de faire preuve d’un altruisme qui ne se manifestait pas toujours aussi clairement, « avant ».
Mais, les jours (longs) passant, on réalise que cette sociabilité numérique n’est jamais loin de la parodie, en tout cas qu’elle est défective, que quelque chose d’essentiel lui manque – nous manque : ce que Goffman nommait « les relations en public »[1], les rencontres de face à face directes entre humains inconnus, en coprésence concrète avec des êtres de chair et sang, que l’on croise et rencontre dans un environnement qui n’est pas celui du domicile.
Politique de l’entre-deux
Ce qui fait défaut, donc, c’est l’exposition à l’extérieur, à cet espace matériel du dehors, peuplé d’autres personnes, qui accueille nos actions et sans lequel nos vies s’étriquent. Le mérite de cette période inédite par son ampleur mondiale est de constituer un cas-limite rappelant à quel point l’espace soutient l’existence sociale de l’individu : il est l’arrangement de matières et d’idées par lequel les vies humaines sont possibles, une condition de l’existence. Non pas une condition a priori, abstraite, mais ce qui étaye et vectorise l’expérience humaine par excellence : la pratique spatiale de co-habitation concrète (ce que j’appelle la spatialité) avec d’autres individus – ainsi qu’avec des non-humains, des objets, des choses.
De ce fait même, l’être humain est aussi toujours-déjà en « devenir » spatial, car cette co-habitation est une activité incessante. L’individu est fait de spatialités qui trament son existence – comme d’ailleurs le signale l’étymologie, puisque ex-sistere signifie s’écarter d’un point fixe –, ce qui ne compte pas peu dans sa constitution en tant que sujet. Facile alors