Nouvelle

Cicciummardo

Ecrivain

À l’occasion de sa participation au festival Italissimo, l’écrivain italien Giosuè Calaciura a confié à AOC une nouvelle inédite en France, et traduite ici par Lise Chapuis. Qui a lu Passes noires ou Malacarne, parmi quelques-uns de ses romans, retrouvera la cruelle, l’exubérante, la légendaire, la misérable… l’insensée Sicile. Et l’ampleur de la langue de ce romancier, à découvrir – ou à redécouvrir.

Il était venu au monde sous le nom de Francesco Lombardo. Son père l’avait arraché au ventre de sa mère qui s’abandonnait à la mort dans une cascade hémorragique de sang plus fluide et rapide que les torrents. Il naquit avec deux dents, Francesco Lombardo, et en dépit de ce mauvais présage, son père le lava dans l’eau jaune et salée des puits qui s’alimentaient aux veines incandescentes de soufre et l’apaisa avec le lait gratuit des chèvres des pâturages sans limites parce qu’ils n’appartenaient à personne. Et il grandit comme les animaux carnivores de garde.

Les paysans des rocailles l’appelaient Ciccciummardo quand, du haut de leurs mulets, ils le saluaient en sifflant longuement, comme on rappelle les chiens, tandis qu’il grimpait comme un animal de montagne sur des colonnes de ruines, lui qui avait les cheveux roux de la mauvaise graine, plus roux que ceux de Rosso Malpelo [1], des dents de ruminant qu’il avait toujours gardées parce qu’elles étaient indestructibles, pérennes, et lui servaient pour sculpter dans la pierre douce des petits chiens errants à queue en point d’interrogation et, grignotés dans l’obsidienne, des poissons inexistants de la mer qu’il ne verrait jamais. D’en haut, il s’amusait à cracher sur la tête de son ami fou et sans nom, serviable et fidèle comme une ombre qui se présentait le matin pour les jeux sauvages du réveil à coups de pierres de soufre jaune qu’ils faisaient exploser sur la tête des lézards immortels, et qui repartait au crépuscule en s’éloignant sous la lune, caracolant avec ses bras énormes, marchant droit devant lui sans se soucier des fossés et des rochers qu’il ne contournait jamais parce qu’il était débile, et ne déviait de son trajet que pour fouiller dans les détritus de fumier et les peaux d’oignon avec la frénésie de la recherche déçue, puis disparaissait dans l’horizon jaune des pierres qui exsudaient le soufre en exhalaisons de vapeur formant des spirales dans la nuit.

Cicciummardo avait six ans quand son père le


[1]. Rosso Malpelo, protagoniste de la nouvelle éponyme de l’écrivain vériste Giovanni Verga, dont le héros est un enfant misérable et victime du préjugé populaire attribuant aux roux des pouvoirs maléfiques. (NdT)

Giosuè Calaciura

Ecrivain, Journaliste

Rayonnages

FictionsNouvelle

Notes

[1]. Rosso Malpelo, protagoniste de la nouvelle éponyme de l’écrivain vériste Giovanni Verga, dont le héros est un enfant misérable et victime du préjugé populaire attribuant aux roux des pouvoirs maléfiques. (NdT)