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Le prisme orientaliste de la gestion du coronavirus par l’Occident

Politiste et juriste

Quel régime politique est le plus efficace en temps de pandémie ? La comparaison entre « l’Occident démocratique » et « la Chine totalitaire » fait rage depuis le début de la crise sanitaire. Au risque de peser sur les décisions en matière de santé : le retard des démocraties occidentales dans la prise en compte du danger que représentait le Covid-19 peut ainsi être lié à l’incapacité de l’Occident à se penser en semblable de la Chine. Cette façon de penser a un nom : l’orientalisme.

Quel meilleur régime face au coronavirus, démocratie ou dictature ? Quelle meilleure culture face à la pandémie, communautarisme ou individualisme ? Confucianisme ou judéo-christianisme ? Depuis que le monde entier est confronté simultanément au même virus, l’art de la comparaison internationale connaît un regain d’intérêt, déployant ses mille variations sur un thème commun : la réponse au Covid-19.

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Durant les premières semaines de février, l’existence même de l’épidémie semblait découler presque mécaniquement des caractéristiques autoritaires de la Chine : absence de liberté d’expression d’une part, verticalité et bureaucratie du pouvoir d’autre part. La première avait supprimé la parole du Dr. Li Wenliang quand la seconde avait freiné la remontée d’informations du pouvoir local vers le pouvoir central, avec le résultat que l’on connaît : pandémie mondiale, chômage de masse et récession historique. Des voix s’élèvent déjà pour réclamer l’engagement de la responsabilité internationale de la Chine devant la Cour internationale de justice des Nations Unies… Le véritable responsable de cette pandémie est identifié : c’est la Chine, victime de sa censure.

L’argument est ancien. Il affirme que toute catastrophe dite naturelle est en réalité une catastrophe politique due à un déficit de gouvernance démocratique, à savoir un manque de transparence et de responsabilité des gouvernants. Cette théorie renvoie notamment aux travaux de l’économiste et philosophe Amartya Sen qui, dans sa thèse publiée en 1981, avance que le phénomène de famine n’est non pas un enjeu de pénurie alimentaire, mais un problème politique structurellement imputable à la dictature. En temps de démocratie, affirme-t-il, lorsque l’information circule, et que les gouvernants doivent répondre de leurs actes, ces derniers n’ont d’autre option que de réagir au plus vite et au plus efficace pour mettre un coup d’arrêt au désastre en cours.

La transparence et la responsabilité seraient donc, mécaniq


[1] Frances D’Souza, « Democracy as a Cure for Famine », Journal of Peace Research, vol. 31, No. 4 (Nov., 1994), pp. 369-373, accessible ici.

[2] Francis Fukuyama, « The End of History ? », The National Interest, Summer 1989, pp. 1-18, accessible ici ; ce dernier se revendique d’Hegel, pour qui l’Orient représentait le miroir du passé de l’Occident car « l’histoire se meut d’Est en Ouest ».

[3] « “Il a donné l’alerte au prix de sa vie” : comment Li Wenliang, le médecin chinois qui a tenté de prévenir le monde sur le coronavirus, est devenu un héros national » France Info, 7 février 2020, accessible ici.
Le même procédé est à l’œuvre dans l’éditorial du Monde publié également le 7 février : « D’abord interpellé puis infecté, il est mort à 34 ans, devenant le symbole d’un système défaillant ».

[4] Pierre Haski, « Face au coronavirus, quel est le régime politique le plus efficace ? », Le nouvel Observateur, 27 mars 2020, accessible ici.
Voir aussi Usul, « Quel est le meilleur régime face au coronavirus ? », Mediapart, 23 mars 2020, accessible ici.

[5] John Stuart Mill, Système de logique déductive et inductive (Mardaga, 1995) [1843].

[6] Concernant ces préjugés, voir Stéphanie Balme, La Tentation de la Chine, nouvelles idées reçues sur un pays en mutation (Cavalier Bleu, 2013), notamment le chapitre réfutant l’idée reçue « La Chine est une dictature totalitaire. »

[7] John Stuart Mill, On Liberty, 1859, et Max Weber, Economie et société, 1921.

[8] Singapour a néanmoins déclaré un « circuit breaker » le 7 avril 2020 pour une durée de huit semaines, et le Vietnam des mesures générales de distanciation sociale au début du mois d’avril 2020. Voir Eugénie Mérieau, « Pouvoirs de quarantaine et contentieux du confinement : quelques leçons d’Asie », Colloque Le Droit face aux circonstances sanitaires exceptionnelles, 31 mars 2020, accessible ici.

[9] Voir notamment Ronald Wintrobe, The Political Economy of Dictatorship (Cambridge University Press, 1998) ou encore Jennifer Gand

Eugénie Mérieau

Politiste et juriste, chercheuse au Centre d'Etude du Droit Asiatique de l'Université Nationale de Singapour, au CERI (Sciences Po-CNRS), à l'Institut d'Asie Orientale (ENS Lyon-CNRS) et à l'IRASEC (MAE-CNRS)

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Covid-19

Notes

[1] Frances D’Souza, « Democracy as a Cure for Famine », Journal of Peace Research, vol. 31, No. 4 (Nov., 1994), pp. 369-373, accessible ici.

[2] Francis Fukuyama, « The End of History ? », The National Interest, Summer 1989, pp. 1-18, accessible ici ; ce dernier se revendique d’Hegel, pour qui l’Orient représentait le miroir du passé de l’Occident car « l’histoire se meut d’Est en Ouest ».

[3] « “Il a donné l’alerte au prix de sa vie” : comment Li Wenliang, le médecin chinois qui a tenté de prévenir le monde sur le coronavirus, est devenu un héros national » France Info, 7 février 2020, accessible ici.
Le même procédé est à l’œuvre dans l’éditorial du Monde publié également le 7 février : « D’abord interpellé puis infecté, il est mort à 34 ans, devenant le symbole d’un système défaillant ».

[4] Pierre Haski, « Face au coronavirus, quel est le régime politique le plus efficace ? », Le nouvel Observateur, 27 mars 2020, accessible ici.
Voir aussi Usul, « Quel est le meilleur régime face au coronavirus ? », Mediapart, 23 mars 2020, accessible ici.

[5] John Stuart Mill, Système de logique déductive et inductive (Mardaga, 1995) [1843].

[6] Concernant ces préjugés, voir Stéphanie Balme, La Tentation de la Chine, nouvelles idées reçues sur un pays en mutation (Cavalier Bleu, 2013), notamment le chapitre réfutant l’idée reçue « La Chine est une dictature totalitaire. »

[7] John Stuart Mill, On Liberty, 1859, et Max Weber, Economie et société, 1921.

[8] Singapour a néanmoins déclaré un « circuit breaker » le 7 avril 2020 pour une durée de huit semaines, et le Vietnam des mesures générales de distanciation sociale au début du mois d’avril 2020. Voir Eugénie Mérieau, « Pouvoirs de quarantaine et contentieux du confinement : quelques leçons d’Asie », Colloque Le Droit face aux circonstances sanitaires exceptionnelles, 31 mars 2020, accessible ici.

[9] Voir notamment Ronald Wintrobe, The Political Economy of Dictatorship (Cambridge University Press, 1998) ou encore Jennifer Gand