Nouvelle

Quarantaine agile

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La rencontre récente entre le président Macron et une infirmière du CHU de Rouen était en fait une collision : celle d’une logique comptable appuyée sur l’argument de la dette et d’une réalité du « mal de chien » des soignants qui se lèvent « tous les jours à cinq heures du matin » pour tenter de soigner avec moins. Pour AOC, l’écrivaine Sandra Lucbert imagine une autre rencontre, fictive celle-là, entre les protagonistes de la réforme de l’hôpital : soignants, patients, et gouvernants.

« L’état des folles dans les vieilles loges de la Salpêtrière est un de ces désordres
qu’une administration humaine ne saurait tolérer. »
Cabanis, Rapport au département de Paris du 6 décembre 1791

 

« Recommandation de bonne pratique – Mis en ligne le 22/5/2017
Les objectifs de cette fiche mémo sont de définir le syndrome d’épuisement
professionnel ou burnout (…) Ces recommandations se limitent au volet
clinique du thème : l’action sur le milieu et l’organisation du travail
est exclue du champ de ces recommandations. »
La Haute Autorité de Santé

 

Un milliard six cents millions.

Il est encore là, ce graffiti ? Le docteur Taclant s’adresse aux infirmiers en désignant la porte de l’ascenseur. Martin hausse les épaules. L’équipe d’entretien est en sous-effectif. Le psychiatre examine l’énorme inscription au feutre noir. A votre avis, qui en serait l’auteur ? Jérôme fait la moue. Sans doute l’un des quatre persécutés de la dette souveraine. Taclant lève le sourcil : J’en compte deux… Monsieur Falret et le berger ? Jérôme opine. Tu n’étais pas là pour la transmission, docteur : il faut y ajouter deux nouvelles entrées. Un agent de la territoriale qui a cambriolé un pavillon à Saint-Maur pour rembourser l’emprunt toxique du 93… Une levée d’écrou ?, interrompt Taclant. Oui, et une retraitée qui voulait sauver l’allocation chômage avec des prêts à taux variable. Hospitalisation à la demande des petits enfants, ajoute Martin. Taclant hoche la tête ; il montre à nouveau l’inscription. Alors c’est la dette publique, ce montant ? Les infirmiers rient. Si c’était la dette publique, le secteur sous contrainte serait un sanatorium de luxe, on aurait des mini bars dans les chambres. Taclant grimace. Clairement, à force de compter les lits, les délais, les séjours des patients, j’ai développé un mécanisme défensif : cécité hystérique en présence de chiffres. Passons. C’est quoi, alors, « un milliard six cents millions » ? Les profits 2017 du CAC 40 ? Rire incoercible des infirmi


Sandra Lucbert

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