Évacuation de la ZAD : le Roi est nu

Géographe

Loin d’être un fait mineur, l’évacuation de la « ZAD » de Notre-Dame-des-Landes apparaît comme un « fait social total ». En proposant un îlot territorial où d’autres types d’existences collectives se tentent et se vivent, l’expérience de ce lieu dérangeait l’appareil politique et bureaucratique centralisateur de l’État. Mais les démonstrations de force et les déclarations martiales des autorités masquent de moins en moins la faiblesse intrinsèque du modèle qu’elles sont censées protéger.

L’évacuation de la ci-devant « ZAD » de Notre-Dame-des-Landes n’est pas un incident banal mais un événement de première importance. Nous sommes en présence d’une sorte de « fait social total », dont la portée dépasse de beaucoup la localité qu’il concerne et qui permet de mettre en exergue une idéologie territoriale dominante, celle exprimée par le gouvernement, et l’incapacité de celui-ci à accepter de prendre en considération d’autres manières que la sienne de concevoir et de vivre la citoyenneté.

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Dans son entretien donné à la télévision le 12 avril dernier, le président de la République affirmait, à la suite d’une question sur Notre-Dame-des-Landes : « L’ordre républicain sera rétabli » et dénonçait ceux qui créaient du « trouble ». Du coup, on doit se poser la question suivante : quelle était donc la nature du désordre qu’il n’était pas possible de tolérer et quel ordre territorial voulait-on rétablir ? Sans doute la menace était-elle d’importance pour qu’on intervienne aussi vigoureusement et avec une volonté de contrôle inédit de la presse, qui a donné à cette expédition un air de famille (bien entendu dans un tout autre contexte et sans le caractère sanglant) avec les opérations de pacification coloniale que la France a menées jadis lorsqu’il s’agissait de reprendre le contrôle d’un espace sous influence d’une contestation sapant les fondements de la seule géographie légitime admise.

Plus que jamais il faut rappeler l’histoire d’un échec.

Commençons par une évidence qui ne semble plus être reconnue par la « puissance » publique (qui mérite là bien son nom en tant qu’elle s’exprime d’abord sous la forme d’une violence) : si désordre il y a eu, il résulta de l’incroyable aveuglement et de la surdité des collectivités locales et de l’État qui ne voulurent jamais accorder un véritable crédit aux critiques contre le projet d’aéroport et ne prirent jamais au sérieux les opposants. La suffisance de ce que je nomme les « géopouvoirs » (ces instances, l’É


Michel Lussault

Géographe, Professeur à l’Université de Lyon (École Normale Supérieure de Lyon) et directeur de l’École urbaine de Lyon