Poésie

Une colombe si cruelle

Poète, Écrivain

Des auteurs classiques nous arrivent parfois des nouvelles. Saluons le retour de Federico García Lorca avec une sélection de poèmes en prose et autres textes traduite par Carole Fillière, un choix qu’elle a édité et enrichi de nombreux inédits – dont voici un avant-goût. Le titre du recueil laisse entendre un ton noir. Il cohabite avec les multiples couleurs, le silence, la chaleur, de ces tableaux vivants. À paraître aux Éditions Bruno Doucey.

Méditations et allégories de l’eau

 

Depuis plusieurs années je passe tous mes étés, rêveur modeste et jeune homme joyeux, sur la rive fraîche d’une rivière. Les après-midi, lorsque les admirables guêpiers d’Europe chantent et pressentent le vent, et lorsque la cigale frotte avec rage ses deux fines lames d’or, je m’assois tout près de la vive profondeur de l’eau calme et je fais voler mes yeux qui se posent effrayés sur la surface, ou sur les rondes cimes des peupliers.

Sous les branches d’osier, à côté de la langue d’eau, je sens comme l’après-midi tout entier affaisse doucement de son poids la verte plaque des calmes flots [et] comme les rafales de silence refroidissent le cristal étonné de mes yeux.

Les premiers jours je fus troublé par le splendide spectacle des reflets, les branches de peupliers ployant, salomoniques, au moindre soupir de l’eau, les ronces et les joncs fronçant comme une étoffe de couvent.

Mais je ne vis pas que mon âme devenait un prisme, que mon âme s’emplissait d’immenses perspectives et de fantômes tremblants. Un après-midi je regardai fixement la verdeur mobile des eaux et pus contempler un étrange oiseau d’or se courbant sur les ondes d’un peuplier noir reflété ; je regardai la cime royale qui était inondée de soleil couchant et seuls les invisibles oiselets du vent jouaient entre les feuilles ; l’oiseau d’or avait disparu.

Une fraîcheur merveilleuse envahit mon corps tout entier, ceint dans les derniers brins de la chevelure crépusculaire et une immense avenue lumineuse traversait mon cœur. Est-ce possible? Mon âme part en excursion sur les ondes au lieu de visiter les étoiles ?

Les sonnailles d’un troupeau déposaient leurs échos sombres dans ma gorge et je sentis la peau merveilleuse de mon âme éclaboussée de gouttelettes cristallines. Comment as-tu pu laisser derrière toi, mon âme, le tremblement de Vénus ou le violon des vents et as-tu préservé au contraire l’algue sonore des cascades et l’immense fleur du cercle concentrique?… Et je


Federico García Lorca

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