Numérique

Petit lexique du smartphone en temps de pandémie

Anthropologue

Durant la crise sanitaire, les médias numériques et notamment les smartphones ont encore un peu plus envahi notre quotidien, suscitant de nouvelles pratiques, qui s’accompagnent nécessairement de nouveaux concepts, de nouveaux mots – parfois déroutants. Ces signes, qui demandent à être décryptés, sont susceptibles eux-mêmes de décrypter une réalité alors inconnue, par leur seule puissance sémantique, par leur seule capacité à nommer. Pour saisir cette réalité, il faut tenter un lexique du smartphone.

Lecture compulsive des nouvelles, visioconférences professionnelles, apéritifs amicaux à distance, communication de résultats sérologiques par SMS, suivi de contacts automatisé pour détecter la propagation de Covid19. Le smartphone et, plus largement, les médias numériques ont joué de multiples rôles durant ces derniers mois de pandémie. Des situations qui ont donné lieu chez leurs propriétaires à toutes sortes de néologismes pour décrire des pratiques plus ou moins courantes. Ces expressions font écho à tout un vocabulaire vernaculaire des cultures numériques que je consigne dans mes carnets de terrain depuis des années. En voici quelques exemples, qui éclairent ou réactivent des débats antérieurs de la socio-anthropologie du numérique.

Äppärät reverie. Formulation proposée par Gary Shteyngart dans son roman Super Sad True Love («Shu descended into another äppärät rêverie »), et qui décrit la contemplation intense des usagers de smartphones (nommés äppärät dans son ouvrage) dans l’écran de leur terminal, avec l’expression faciale associée : regard concentré, capacité à s’extraire d’un espace partagé tout en y restant. L’expression traduit une forme de « disparition présente » pour reprendre le terme du sociologue Francis Jauréguiberry à propos du téléphone mobile au début des années 2000. Si ce terme est peu employé, cantonné aux lecteurs de Shteyngart, l’image à laquelle il renvoie est symptomatique de notre expérience sociale quotidienne, avec ces usagers affairés à consulter, lire, écrire, parler, manipuler l’appareil dans de multiples situations de la vie quotidienne. Et cela, quel que soit le contexte d’usage.

Apnée de l’email. Constat fait par plusieurs utilisateurs de messagerie et de réseaux sociaux d’un arrêt momentané de la respiration lors de l’écriture d’un email, ou avant de voir s’afficher les messages reçus. En général involontaire, ce phénomène de mobilisation de l’attention est assimilable à une situation de stress ou d’urgence qui met le corps d


Nicolas Nova

Anthropologue, Professeur à la Haute école d’art et de design (HEAD – Genève HES-SO)