Littérature

Quichotte… chute ! – à propos de Quichotte de Salman Rushdie

Professeur de littérature anglaise

Parodie de l’œuvre classique de Cervantès (elle-même parodie d’un roman de chevalerie), le Quichotte de Salman Rushdie remet en selle le « Chevalier de la Triste-Figure » sous les traits d’un visiteur médical vieux et grincheux, le bien nommé M. Smile Smile, propulsé dans un road trip picaresque. Mais cette fois, la magie n’opère pas. Car le réalisme magique bute sur une culture de seconde ou de troisième main, sur une réalité inexorablement désenchantée, réduite à une « suite de clichés ». Faut-il y voir le symptôme d’un mal qui ronge plus largement l’exofiction ?

Sur le fond bleu nuit de la couverture de Quichotte, le quatorzième roman de Salman Rushdie paru chez Actes Sud en septembre, se dresse un écran géant de drive-in. On y voit un baiser en gros plan. Un langoureux baiser de cinéma, version contemporaine de l’ancien filtre d’amour, dans lequel se plongent, pour s’y perdre, un couple de stars, ainsi que les passagers d’une voiture, tous phares allumés, au premier plan : le film est dans le film, déclinaison mythique de l’espace et de l’imaginaire américains, et des road movies de légende qui en sont la signature.

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Du cinéma, Quichotte convoque mille et un films, du Magicien d’Oz à Men in Black, en passant par Star Wars et Rencontres du troisième type – mais convoquer n’est pas évoquer, et la magie s’en est, hélas, retirée. Nous sommes, il est vrai, à un âge où le petit écran de la télé a largement phagocyté – et rétréci – le grand. Quant à l’amour et sa romance, dans les États-(dés)Unis de Donald Trump, où le trash le dispute au junk, il s’est atrophié et travesti. D’où le projet rushdien, consistant à camper un Don Quichotte au petit pied embarqué dans une croisade perdue d’avance. Natif de Mumbai (à l’époque, Bombay), il se croit éperdument épris d’une héroïne de la téléréalité, reine des talk shows, Miss Salma R, elle aussi indienne. « Nous sommes en pays indien » : phrase la plus courte, et, à n’en pas douter, la plus forte du roman.

Vieux grincheux ridicule, M. Smile Smile, c’est son nom (au redoublement lointainement inspiré du Humbert Humbert de Lolita), est visiteur médical, ce qui nous vaut maintes digressions sur le scandale sanitaire des opioïdes. Mais on le dira « commis voyageur », pour sacrifier à la mécanique furieusement citationnelle d’un roman vampirique en diable. Lancé sur une grand-route autant picaresque que pavée de bonnes intentions, le personnage est censé reconduire en la renouvelant, moyennant ce road trip très peu drolatique, la satire, par le grand Cervantès, des vieux romans d’amo


Marc Porée

Professeur de littérature anglaise, École Normale Supérieure (Ulm)

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