L’image-tiers de Laura Huertas Millán
L’image est floue, on y voit double. Un accident de tournage en vérité : la pellicule s’est emballée, mal rembobinée, deux images a priori étrangères se sont superposées, que la cinéaste Laura Huertas Millán a scellées dans un destin commun, Jeny303, diptyque où chacune des situations tournées distinctement se retrouvent agrippées l’une à l’autre. D’abord, il y a un bâtiment moderne en briques désaffecté (elle venait alors récupérer des traces de l’ancienne université avant qu’elle ne s’effondre, où son père avait enseigné). D’étages en demi-étages, d’enfilades de recoins et de plafonds inclinés, de murs tirant des diagonales dans l’espace, des sculptures abandonnées et des résidus de tags des mouvements de lutte qui y ont siégé… c’est dans cette toile de fond d’une architecture évidée que la greffe d’un texte en surimpression prend, sans voix pour l’incarner, ni personne à qui l’attribuer.

Puis une personne apparaît à l’écran, l’œil de la caméra collée à la surface de son corps et de ses tatouages, si bien qu’on ne peut la capturer dans sa totalité. L’indistinction quant à son genre est redoublée par son témoignage racontant les dragues et les mains violeuses. Dans cette chambre à soi (rien n’indique qu’on se trouve dans un centre de désintoxication), elle se coiffe, s’apprête, tout en révélant les coups montés auxquels elle a participé, pleins de violence de mots et de poings, ne cédant à aucune de ses contradictions, s’affichant à la fois victime et criminelle, abusée et profiteuse. Ces contrastes se creusent jusqu’au dévoilement final de son visage qui frappe par son allure poupon, brûle la pellicule avant que de disparaître à nouveau. À quoi avons-nous assisté ?
Laura Huertas Millán ne classifie pas, elle fouille la nature des singularités plutôt.
À une « fiction ethnographique » sûrement, comme la cinéaste aime à nommer ses films. À la production d’une forme qui déconstruit l’appareillage visuel formé par une certaine branche de l’anthropologie qui se complaî