La dernière forêt
Je me souviens encore du jour. De la couleur de l’air. Les cloches avaient sonné, allez bestiaux, c’est bon, vous êtes autorisés à repartir à la ville, au travail, à l’abattoir, à ce que vous voulez mais allez-y. Moi j’ai pas fait un geste. Léa a dit on y va. J’ai dit moi j’y vais pas. J’ai pas peur, c’est pas ça, mais je veux rester là. J’suis pas de la chair à canon, j’vois pas pourquoi j’irai m’user les mains sur les mêmes putains d’établis jusqu’à ma mort, je reste dans la forêt, je suis bien là. Comme tu voudras, m’a dit Léa. Moi je dois y aller. Tu m’appelleras quand tu seras prêt. Elle est montée dans la bagnole et elle est partie. Je l’ai regardée s’éloigner sur le petit chemin. Je me suis levé pour me resservir du café.
Je suis parti marcher sur les chemins. La forêt je l’avais fait mienne. Je connaissais tous ses recoins maintenant. On avait fait partie des déserteurs des villes, sans en être ni fiers ni honteux, quand l’annonce avait été faite on avait quitté notre deux-pièces pour nous installer ici, à T., dans cette maison familiale à l’abandon depuis quelques années – ma sœur préférait se casser ailleurs en vacances, en Toscane je crois. Pendant ces quelques mois on avait eu le temps de retaper tout ça, de refaire un jardin et un potager, d’écluser des tonneaux d’alcool et de nous déchirer, alors quand Léa a voulu repartir j’ai pas insisté.
Le chemin bifurque et arrive en haut de la colline. On émerge de la forêt, on la surplombe, massif vert carbone dont j’avale chaque jour le silence et le vrombissement.
Au-dessus habitent Ben et ses enfants, plus loin il y a Chloé, Roland, Paloma, on est devenus amis avec le passage des jours, tous identiques, ronds et légers, puis lentement plus lourds.
Je me suis dit pourquoi pas, après tout. J’ai besoin de rien pour vivre. J’ai installé mon bureau là-bas, dans la bibliothèque, la fenêtre donne sur les bois, un passereau se pose parfois devant moi, je fais chauffer du thé ou du café, à quoi bon repartir. Je ne lis