Un lieu commun – à propos de Chaudun, La montagne blessée de Luc Bronner
C’est un beau livre qui s’ouvre sur une tombe, où la mort est présente très souvent, mais qui dit d’abord la vie, les vies : celles, difficiles, de gens simples dont Luc Bronner a recueilli le cours ancien en consultant une masse impressionnante d’archives relatives à Chaudun, ce village des Hautes-Alpes qui est un peu plus que le décor de son récit. La montagne blessée fait en effet de Chaudun le personnage principal d’une sorte de fable historique, assez fascinante, qui court du XVIIIe siècle jusqu’aux perspectives d’avenir de notre aujourd’hui.
Ce village a vécu, dans l’ingratitude d’un paysage pauvre en lumière l’hiver, où les destins sont brefs et la terre rude, où la pauvreté fut la norme. Et ce village est mort, vendu à l’État par ses habitants en août 1895 : étrange aventure d’un lieu commun, sciemment abandonné au bout d’années d’efforts et d’épuisement vain des ressources de la montagne, finalement restitué, exsangue, à la nature, au maigre profit d’exils individuels pour l’Algérie ou les régions voisines.
Avec une rigueur d’historien et une vraie plume d’écrivain, Luc Bronner raconte d’abord une histoire, dans une sorte de récit choral où il s’agit de retrouver des voix : qui étaient les habitants de ce village, au XIXe siècle, quels étaient leurs noms, leurs activités, leurs infimes espoirs de voir s’améliorer un sort d’une extrême modestie ?
Ce sont les registres d’État civil, les promenades au cimetière, le dépouillement des archives diocésaines et des correspondances soigneusement conservées qui aident à l’enquête, pour une espèce de plongée première dans ces vies d’un autre temps. Et c’est bien ce qui fait le sel initial du livre : la déambulation d’un randonneur passionné dans le double paysage d’une montagne qu’il connaît dans ses moindres parcelles et d’un territoire de papier où retrouver, comme sur la neige du passé, les traces de pas de gens oubliés, antihéros absolus de ce qui pourtant pourrait s’apparenter à un roman.
L’ignorance d