Littérature

L’abri de l’écrit – sur Mon père et ma mère d’Aharon Appelfeld

Écrivain

Aharon Appelfeld est mort en janvier 2018, à l’âge de 86 ans, laissant une œuvre romanesque considérable et, pour le lecteur français, le trésor non épuisé de livres nombreux à découvrir encore, par la grâce de sa traductrice Valérie Zenatti, qui fut aussi son amie. C’est ainsi qu’on peut lire aujourd’hui Mon père et ma mère, publié en hébreu en 2013 : le récit des dernières vacances dans les Carpates du jeune Erwin, double d’Aharon, à l’été 1938, quand la guerre menace, que les paysans commencent à s’en prendre aux Juifs, que la catastrophe s’annonce. Ce n’est pourtant pas un simple récit de souvenirs : un magnifique acte de foi, plutôt, dans les pouvoirs de la littérature.

Que fait-on quand on lit, quand on écrit, sinon tracer et retracer la carte d’une mémoire toujours en mouvement, que les lignes ne parviennent pas vraiment à fixer, mais dont la force et l’attrait tiennent à cet arpentage sans cesse repris, recréé au présent, à l’infini ? L’espace du livre est ce lieu mystérieux qui redéfinit comme en rêve les règles du temps… et parfois ce rêve hésite, à la frontière du vrai et du fictif, du cauchemar et du paradis, perdu ou retrouvé.

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Plus encore que pour d’autres écrivains, c’est en tout cas ce que l’on éprouve – dans une sorte d’émerveillement effrayé – en lisant Aharon Appelfeld, dont l’œuvre de romancier se fonde pour l’essentiel, on le sait, sur l’expérience terrible de son enfance, brisée par la guerre et le nazisme : réduit à fuir dans les forêts d’Ukraine, à neuf ans, le sort qui fut celui de sa mère assassinée, le petit garçon rêveur qui lisait Jules Verne se reconstruira, adulte, dans des livres extraordinairement singuliers, divers mais comme reliés par ce même souvenir d’une catastrophe originelle, celle de la perte, de l’errance, des violences du camp. La singularité de ses livres, du reste, ne tient pas seulement à l’originalité du destin de leur auteur, disparu au début de l’année 2018, mais à la façon très particulière qu’il a de raconter, où se mêle l’apparente simplicité du style et l’impressionnante densité de son propos, quand chaque page semble ouvrir, presque étrangement, sur un gouffre sensible, immédiatement accessible.

Ce livre donne à penser la littérature comme un moyen non pas forcément de se sauver, mais simplement de vivre, mieux encore que de survivre.

On s’en rend compte à nouveau en découvrant Mon père et ma mère, livre tardif et absolument magnifique, qui revient encore une fois sur les traumatismes du passé, mais d’une façon qu’on pourrait dire presque douce, avec un art très particulier, infiniment délicat, du récit à hauteur d’enfant, et en même temps à la lumière de l’âge, le vieil h


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire

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