Uber, c’est On achève bien les chevaux
Comme chercheur, j’avais bien sûr des à priori importants : Uber incarnait un nouveau pas dans notre renoncement à ce que chacun puisse vivre décemment du travail. Mais après tout, qui étais-je pour, en confortable position de surplomb, décréter que les chauffeurs étaient les marionnettes inconscientes du méchant capitalisme ? J’avais aussi le goût de succomber à l’idée optimiste et presque romantique qu’il y avait en arrière-plan l’émergence de nouveaux styles de vie – une société des freelancers. Des individus en quête de flexibilité, cherchant à adapter le travail à leurs aspirations personnelles. Uber illustrait peut-être une nouvelle organisation du travail…
Fatigué d’être interrogé sur le business model, la guerre stratégique entre monopole des taxis et Uber, la création d’une nouvelle demande, les chances de réussite, ce que devait faire le gouvernement, mon envie n’avait rien de scientifique, je voulais seulement connaître ces vies et peut-être un jour les partager. Derrière les analyses et les points de vue toujours plus désincarnés, il y avait forcément des parcours singuliers, des envies, des renoncements, … Derrière cette foule de travailleurs anonymes et interchangeables, à qui quotidiennement on reprochait de voler le pain des taxis et de ne pas payer de taxes, là où les voix se faisaient bien moins fortes pour interroger les pratiques fiscales de ces nouvelles compagnies, connaître ces travailleurs invisibles. Invisibles des débats, presque pris en otage de celles et ceux qui idéologiquement s’affrontent mais finalement n’en parlent pas.
En décidant il y a trois ans de prendre Uber deux fois par semaine environ, cela m’a donné l’occasion de croiser des vies. Simplement les écouter et peut-être me faire une idée, sans infliger une théorie arrangeante. Certains m’ont plus marqué, pas nécessairement pour des raisons héroïques. D’autres sont silencieux, pas moins intéressants. J’en ai fréquenté certains plusieurs fois.
Souvent le matin, très t