Écrire au temps du discrédit – à propos de Cette brume insensée de Vila-Matas (2/2)
Avec la brume ou le brouillard, on sait à quoi s’en tenir en général. Au volant, les consignes sont claires. Ralentir. Allumer les phares antibrouillard. Compenser la perte de visibilité par une attention redoublée. Mais avec Vila-Matas, les choses ne sont pas aussi simples. Quelle est donc cette brume « insensée » ? D’où vient-elle ? L’épigraphe, censé éclairer les intentions de l’auteur ne nous aide guère : « Cette brume insensée où s’agitent des ombres, comment pourrais-je l’éclaircir ? » Seul indice, si évident qu’on n’y prête pas tout de suite attention, l’auteur de la citation, Raymond Queneau ! Avec Queneau, le père de l’Oulipo ; nous voilà prévenus, s’il y a une énigme à éclaircir dans le roman de Vila-Matas, elle ne peut être que littéraire.
Le choix des mots n’est jamais innocent chez Queneau ou Vila-Matas. Leur brume « insensée » n’est pas une quelconque brume formée par la condensation de l’eau, ou par la pollution industrielle au-dessus des grandes villes. Elle ne se forme pas à l’extérieur de nous, par voie atmosphérique. C’est un brouillard de mots, un nuage de mots qu’il s’agit d’éclaircir, un nœud à dénouer et on ne dénoue les mots qu’avec d’autres mots. D’où cette brume insensé qui émane des paroles échangées.
« Les mots n’ont absolument pas la moindre possibilité d’exprimer quoi que ce soit. À peine commençons-nous à verser nos pensées dans des mots et des phrases que tout est fichu » (Vila-Matas, Bartleby et compagnie). Encore une fois, Kafka en sous-texte de Vila-Matas : « Chaque mot, retourné dans la main des esprits – ce tour de main est leur geste caractéristique – se transforme en lance dirigée contre celui qui parle. »
Il y a donc certaines précautions à prendre avec le langage. Pas question d’y aller à mains nues. Il y faut de la ruse comme au poker. Il faut squeezer, tromper, anticiper : bref user de subterfuges…
Dès les premières pages de son roman, Vila-Matas distribue les cartes ou plus probablement, vu qu’il est seul, entam