Éloge de la porosité – à propos de Saturne de Sarah Chiche
Proposition : Saturne est un roman à propos de courges ou de feu.
Exemples : « À la cuisine, des citrouilles au ventre orangé et des tomates dodues mijotent dans une marmite. » (p. 69) « Les glycines fleurissent. Le soleil les brûle. Elles flétrissent, se recroquevillent et tombent. L’été s’avance. Dans les rues de Bab-el-Oued, on se met à suspendre des Algériens à des cordes à linge. On les imbibe d’essence pour les transformer en torches. » (p. 60)
À la rigueur, on pourrait s’en tenir au titre, Saturne : c’est l’histoire d’un père qui mange ses enfants, et de la vie qui dévore son avenir. « On m’a raconté qu’un héritier déçu à la lecture d’un testament l’avait arraché des mains du notaire pour l’avaler, toute la famille se ruant sur lui à grands cris » (p. 155).
Comme pour les Enténébrés, le précédent roman de Sarah Chiche (Seuil, 2019), on a le sentiment que Saturne ne raconte pas exactement ce qu’il dit « officiellement », mais qu’il s’écrit à côté de lui-même, entre ses propres lignes. Non par erreur, bien sûr, mais exprès. Une vieille ritournelle critique prétend parfois qu’un·e écrivain·e ou artiste a « manqué » son sujet et sa cible, comme si le·la lecteur·ice ou le·la spectateur·ice était mieux informé que l’artiste de ce que celui-ci ou celle-ci pourrait avoir « voulu dire ». On connaît la réponse de Valéry à cette ânerie : « Je n’ai pas voulu dire mais voulu faire et […] c’est cette intention de faire qui a voulu ce que j’ai dit ». Renversons la ritournelle critique : il n’y a pas d’œuvre d’art sans manquement au « sujet » – tant la fidélité, comme l’identité, est une chose ennuyeuse.
Les brefs extraits cités plus haut invitent à penser que la beauté de Saturne réside dans la syllepse. Dans une certaine vitesse de flux et reflux : fleurir et brûler… tomber puis s’avancer… avant que l’horreur ne s’étale, dans l’indifférence de l’anonymat, avec une lenteur plombée cette fois, une détermination sourde : « On se met à suspend