Littérature

La mémoire, l’histoire, l’oubli et la solitude – à propos de Serge de Yasmina Reza

Critique Littéraire

Serge met en scène trois frères et sœurs en pèlerinage à Auschwitz après le décès de leur mère. Ce faisant, le nouveau roman de Yasmina Reza pointe avec autant d’ironie que d’intelligence et de froideur le caractère farcesque de cette expédition qu’il est devenu de bon ton d’effectuer, que l’on soit juif ou pas. Mais Serge n’est pas seulement la description faussement neutre et sarcastique de ce sacro-saint voyage. C’est aussi le portrait sombre d’une fratrie, des humeurs, des élans d’affection et de la violence qui la traversent.

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« Il a vraiment merdé avec Valentina (traduction : à un moment donné tu comprends, il y a vraiment des choses qu’une femme ne peut pas accepter). » D’autres comportements, outre l’infidélité et la goujaterie, relèvent de l’inacceptable. Partir en pèlerinage à Auschwitz en fait partie. Serge, le nouveau roman de Yasmina Reza, pointe avec autant d’ironie que d’intelligence et de froideur le caractère farcesque de cette expédition qu’il est devenu de bon ton d’effectuer, que l’on soit juif ou pas. On déambule dans l’ancien camp d’extermination avec pour décor des fils barbelés qui ne sont pas les originaux mais qui les imitent : « Ils sont fabriqués exprès sombres … Les pylônes sont d’époque mais ils se rouillent. » Il y a beaucoup touristes, et de filles en short, dont « la queue de cheval se balance à chaque pas ». Il peut faire très chaud, en Pologne.

Fine sociologue, Yasmina Reza a le don de condenser le grotesque d’un comportement dans des phrases sans effets, sans chichis, qui ne tolèrent pas d’appel. Serge n’est pas seulement la description faussement neutre et sarcastique de ce sacro-saint voyage, qu’à notre connaissance aucun autre roman n’a traité de cette façon auparavant. C’est aussi le portrait sombre d’une fratrie, des humeurs, des élans d’affection et de la violence qui la traversent. Les lecteurs de Yasmina Reza retrouveront ses thèmes de prédilection, qui sont peut-être les leurs : la mort, la solitude, la famille, juive en l’occurrence. Les mêmes prénoms se promènent d’un livre à l’autre : Serge, Marta …

Ils retrouveront aussi son regard glacial sur le monde, et une méchanceté qui est excitante, mais qui prive ses romans d’un humanisme (à ne pas confondre avec le sentimentalisme) nécessaire à la littérature, parce qu’il lui donne de la chair. De temps en temps, le rideau de fer s’écarte, un peu de douceur apparaît, l’on s’en étonne. Le livre, par exemple, est dédié à « Magda et Imre Kertész, amis chéris ». Imre Kertész, né à Budapest en 192


Virginie Bloch-Lainé

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