Littérature

La maison hantée du corps des femmes – à propos de Sœurs de Daisy Johnson

écrivaine

C’est dans l’exploration du lien des deux adolescentes que Sœurs donne toute sa mesure. Daisy Johnson développe un art de l’inquiétude, une esthétique du doute qui peuvent évoquer, par endroits, aussi bien Laura Kasischke que Stephen King, Daphné du Maurier que Marguerite Duras. Et dans ces scènes d’exclusivité sororale, douloureuse et jouissive, ce thriller s’ouvre à la poésie la plus noire, où l’amour se fond avec la possession, et l’autre est perçu comme en morceaux, à travers la peau, les cheveux, les dents, l’odeur de l’haleine, la façon de se tenir au bout d’un couloir.

« Elle a toujours su que les maisons étaient des corps, et de bien des façons, son corps lui aussi est une maison. » C’est en son milieu, pile à la pliure, que Sœurs offre la clé de son énigme. Alors, la mère parle, et en une simple phrase elle donne le coup de canif qui fait entrer la lumière dans la nuit d’une lecture aussi haletante que chaotique.

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Il faut, lorsqu’on pénètre dans le livre de Daisy Johnson, en accepter d’abord la part d’inquiétude brouillonne, poétique, confuse, il faut l’accepter et même, la subir, car peu à peu s’y affirme ce qu’on devinait derrière la trame d’un texte hybride, roman gothique, teen movie, roman d’apprentissage, nouvelle fantastique tout ensemble : sa cohérence en béton, luisant sous la mousse de l’hallucination poétique. Sa logique implacable. Le corps est une maison, la maison du livre est maudite, faites le calcul, et puisque ce serait tout casser que de raconter la fin, reprenons au début.

Elles sont trois, Septembre, Juillet, Sheela. Les deux sœurs quasi jumelles, nées à onze mois d’écart, et leur mère écrivaine et illustratrice de livres pour enfants, de contes (cruels ?), sujette à la dépression. Le père est mort. On comprend que la mère l’a quitté il y a longtemps, lorsque les fillettes étaient très petites, qui n’ont aucun souvenir de lui. Il était de cette sorte d’individus qu’il faut laisser pour sauver sa peau, non malgré l’amour, mais à cause de lui. Il y a quelques mois, les filles ont fait quelque chose. Quoi, on l’ignore, mais elles ont dû quitter Oxford, où elles allaient au lycée, pour s’établir dans la vieille maison familiale dont a hérité la sœur du père, au bord de la mer, près des dunes. Elles ont fui. Un peu plus tard on comprend qu’il y a eu un règlement de comptes après qu’un groupe de filles a piégé Juillet, et envoyé partout le sexto où elle se dénudait pour un garçon qui lui plaisait. On devine que la déesse de la vengeance, c’est Septembre, la sœur aînée violente, aimante, déterminée ; opa


Emmanuelle Lambert

écrivaine, commissaire d'exposition indépendante

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