Société

Que faire de nos peurs ?

Anthropologue

Qu’elle soit niée, contestée ou assumée, c’est bien la peur qui, en arrière-fond, installée dans les foyers, sur tous les écrans et dans les réunions gouvernementales, domine la crise sanitaire. Il s’agit donc de prendre la peur elle-même comme objet de réflexion, l’adosser à ses contextes, la différencier, et pénétrer le ou les mondes imaginaires dans lesquels elle se déploie, pour finalement alerter sur ses usages politiques et idéologiques, penser de manière autonome et chercher des voies alternatives.

Alors que la pandémie est là depuis un an, nous sommes déjà installés dans un carcan comparable à celui que décrit la littérature de science-fiction ou d’anticipation. Nos corps le sont, sinon nos consciences, qui résistent. L’incrédulité s’ajoute à l’incertitude et à l’impréparation. Nous croyons toujours qu’il y aura un après, une sortie du tunnel. Pourtant, l’après n’existe pas, c’est le présent qui dure et qui change, et ainsi a déjà fabriqué une autre réalité un an après le début de l’événement mondial dont nous ne sommes pas sortis. Le même et tout autre. Quelque chose est en train de reconfigurer l’état du monde.

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Il suffit de commencer l’inventaire de ce présent qui dure pour prendre conscience de l’étendue du changement. Les modes de vie, les manières de se déplacer, de travailler, de se divertir (ou pas), les relations proches ou professionnelles, toutes nos actions et nos gestes quotidiens ont changé. Surtout, le tournant sécuritaire est pris en Europe et partout dans le monde où la peur, officielle autant qu’intime, s’est répandue ; et dans les régimes politiques autoritaires il est naturellement renforcé.

Couvre-feux, guerre, états d’urgence, confinements à répétition, menaces de loi martiale, « restez chez vous », « taisez-vous » : apparemment sans limites le langage et les mesures sécuritaires nous environnent normalement et quotidiennement. Les dispositifs de surveillance urbaine se sont déployés à une très grande vitesse, par exemple pour surveiller le respect de la distance entre les personnes ou le port du masque : on peut penser qu’il sera difficile de les supprimer, car la surveillance « est une drogue extrêmement puissante pour le pouvoir, qui s’en remet à elle pour gouverner par temps de crise »[1].

Nous avons vu dès le début se déployer des politiques sécuritaires en tant que politiques sanitaires. Ainsi, dans un premier temps puis revenant régulièrement au premier plan, la fermeture des frontières nationales et le confinement à dom


[1] Olivier Tesquet, « Il nous faut retrouver une forme d’hygiène numérique » (entretien avec Manon Paulic), dans Eric Fottorino, Doit-on avoir peur ?, Le 1/Philippe Rey, 2021, p.71.

[2] Citation de Goethe et commentaire de Paul Virilio dans Ville panique, Galilée, 2007, p.89.

Michel Agier

Anthropologue, Directeur d'études à l'EHESS, Directeur de recherche à l'IRD

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Notes

[1] Olivier Tesquet, « Il nous faut retrouver une forme d’hygiène numérique » (entretien avec Manon Paulic), dans Eric Fottorino, Doit-on avoir peur ?, Le 1/Philippe Rey, 2021, p.71.

[2] Citation de Goethe et commentaire de Paul Virilio dans Ville panique, Galilée, 2007, p.89.