Société

Racisme d’État, « cancel culture » et le problème « A vs. a »

Philosophe

La polémique autour de ladite « cancel culture » présente de nombreux parallélismes avec d’autres polémiques sur le racisme, la violence ou la liberté. Il est à chaque fois question d’une même structure : un désaccord majeur entre une acception large et une acceptation étroite d’un concept. Sous cet angle, la dispute entre « cancelleurs » et « cancellés » ne peut-elle pas être interprétée comme une lutte sur la définition même du terme de censure ?

Avec l’islamogauchisme, le khmerverisme, ou le confusionnisme, la récemment nommée « cancel culture » fait partie de ces labels dont l’usage est réservé à la polémique, sans que personne ne puisse avec fierté le revendiquer pour lui-même. De fait, cancel culture signifie un usage systématique de la censure en vue de défendre des minorités supposément oppressées ; or, tout comme le harcèlement ou le waterboarding, la censure a généralement mauvaise presse. Comment se fait-il alors que certains en toute bonne conscience censurent ou tentent de censurer des conférences, des spectacles ou même des défilés de mode ?

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La « cancel culture » et toutes ses manifestations ont, je le crains, un intérêt faible et j’ai déjà dit ce que j’en pensais. Néanmoins la polémique à son propos manifeste une structure de controverse très générale, et la mettre au jour n’est pas sans intérêt d’autant que, ce faisant, on comprend vite pourquoi en cette affaire toute conciliation est sans espoir.

Je soutiendrai donc ici que la polémique autour de ladite cancel culture est similaire à d’autres polémiques sur le racisme, la violence ou autrefois la liberté, en ce qu’à chaque fois il est question d’un désaccord majeur entre une acception large d’un concept « a » (notée ici A), et une acception étroite du même concept (notée ici a). Logiquement parlant, certaines controverses qui font la une de l’actualité idéologique ou politique, comme d’autres, plus traditionnelles (et plus intéressantes, ou moins navrantes…) et discutées à longueur de pages par divers philosophes ou savants, concernent la légitimité d’adopter plutôt A ou plutôt a sur une question donnée. Je voudrais donc indiquer ici que de très nombreuses polémiques sont de la forme « A versus a » ; que la coexistence pacifique entre ces deux acceptions est souvent impossible, aussi curieux que cela puisse paraître ; et que, dans ces cas conflictuels, on ne saurait en rester au purement théorique, le versant politique ou moral étan


[1] J’aimerais qu’on puisse me présenter d’autres exemples que les annulations des conférences d’Agacinsky, de Finkielkraut, les livres de François Hollande jetés aux orties, ou bien les Suppliantes empêchées – notamment des cas de jeunes oratrices à qui par principe peu de tribunes sont ouvertes. Si on laisse de côté les cas qui relèvent du pur clientélisme (comme tenir à l’Université des formations payantes impliquant des figures connues donc lucratives) dont je viens de parler, ou bien de la vie étudiante, je ne parierai pas qu’il reste au fond beaucoup de vraies affaires de cancel culture chez nous… À part ces absurdes affaires de Suppliantes, je ne vois pas trop de réelle censure de type « cancel ». Et on ne peut dénier aux partisans de la justice sociale le droit d’être parfaitement idiots, un droit dont usent largement leurs adversaires, comme par exemple en témoignerait cette double page du Figaro sur l’islamogauchisme publiée le 25 février, signée Eugénie Bastié et qui pousserait les prix Ignobel à passer au niveau Meta…

[2] En outre, la question des étudiants est assez différente, elle est similaire à ce qui se passe au niveau de l’Éducation Nationale où l’Etat se désengage tellement que la chose est par clientélisme laissée ouverte aux réappropriateurs de tous bords, marchands de soupes, idéologues salafistes ou vegan, vendeurs de gadgets pédagogiques, bateleurs startupistes etc. Les universités suivent la même voie, et ce clientélisme affreux jette évidemment les étudiants dans les bras de séducteurs de tous bords, un état de choses dont beaucoup des déplorateurs de la supposée gangrène idéologique dans l’ESR ont dû faire l’expérience. La situation de la plupart des universités, laissées à leur naufrage sans trop d’état d’âme tant que les lieux d’élevage des premiers de cordée (grandes écoles, écoles de commerce, écoles d’administration, etc.) sont préservés, est évidemment le terreau de manifestations étudiantes parfois désolantes. Notons toutefois : ch

Philippe Huneman

Philosophe, Directeur de recherche à l’IHPST (CNRS/Paris-I)

Notes

[1] J’aimerais qu’on puisse me présenter d’autres exemples que les annulations des conférences d’Agacinsky, de Finkielkraut, les livres de François Hollande jetés aux orties, ou bien les Suppliantes empêchées – notamment des cas de jeunes oratrices à qui par principe peu de tribunes sont ouvertes. Si on laisse de côté les cas qui relèvent du pur clientélisme (comme tenir à l’Université des formations payantes impliquant des figures connues donc lucratives) dont je viens de parler, ou bien de la vie étudiante, je ne parierai pas qu’il reste au fond beaucoup de vraies affaires de cancel culture chez nous… À part ces absurdes affaires de Suppliantes, je ne vois pas trop de réelle censure de type « cancel ». Et on ne peut dénier aux partisans de la justice sociale le droit d’être parfaitement idiots, un droit dont usent largement leurs adversaires, comme par exemple en témoignerait cette double page du Figaro sur l’islamogauchisme publiée le 25 février, signée Eugénie Bastié et qui pousserait les prix Ignobel à passer au niveau Meta…

[2] En outre, la question des étudiants est assez différente, elle est similaire à ce qui se passe au niveau de l’Éducation Nationale où l’Etat se désengage tellement que la chose est par clientélisme laissée ouverte aux réappropriateurs de tous bords, marchands de soupes, idéologues salafistes ou vegan, vendeurs de gadgets pédagogiques, bateleurs startupistes etc. Les universités suivent la même voie, et ce clientélisme affreux jette évidemment les étudiants dans les bras de séducteurs de tous bords, un état de choses dont beaucoup des déplorateurs de la supposée gangrène idéologique dans l’ESR ont dû faire l’expérience. La situation de la plupart des universités, laissées à leur naufrage sans trop d’état d’âme tant que les lieux d’élevage des premiers de cordée (grandes écoles, écoles de commerce, écoles d’administration, etc.) sont préservés, est évidemment le terreau de manifestations étudiantes parfois désolantes. Notons toutefois : ch