Littérature

Un très grand trip – sur Le mont Fuji n’existe pas d’Hélène Frappat

Écrivain

En 2017, Hélène Frappat écrivait pour AOC une nouvelle formidable, Mister Brown, qui racontait la rencontre – réelle ou fictive ? – avec un personnage éminemment romanesque et possible voisin de palier d’un écrivain-culte vivant caché à New York. Quatre ans plus tard, cette histoire trouve place dans un recueil d’une quinzaine de récits qui réinventent, à leur façon, l’art du roman : l’ensemble des textes composant Le Mont Fuji n’existe pas forme en effet un roman qui existe bien, et se révèle une manière de repenser l’autofiction… en la multipliant.

Il est délicat, parfois, de dire son enthousiasme sans que celui-ci ne semble simplement rhétorique : comment faire ? Comment faire, par exemple, pour que passe un peu de l’extrême plaisir que l’on a éprouvé à lire Le Mont Fuji n’existe pas, sans savoir exactement s’il s’agit d’un roman ou d’un recueil de nouvelles, ce livre extraordinaire dont la narratrice ressemble trait pour trait à Hélène Frappat…

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Autofiction ? Multi-fictions, plutôt, qui nous promène(nt) en rêvant des coulisses à la scène, de l’atelier à la fresque, les deux espaces communiquant dans une égale exaltation de l’imaginaire, exactement comme dans les films de celui que l’écrivaine appelle volontiers son « maître », Jacques Rivette. Ce sont des histoires, en effet, qui composent ce qui n’est pas une simple réunion de textes : un livre original, comme l’invention, discrète mais fermement affirmée, d’un nouveau genre où se mêleraient intelligence réflexive, art poétique et malicieuse ivresse du romanesque pur. Hélène Frappat est à la fois Tintin et Fantômette, Kant et Dickens, Rossellini et Carpenter…

De quoi s’agit-il donc ? Des tribulations d’une romancière qui a ouvert un dossier sur un livre qui doit s’appeler Le Mont Fuji n’existe pas. Ce fameux mont, on sait qu’il est là, a priori visible depuis Tokyo, mais pour la voyageuse qui visite le Japon, il demeurera une sorte de mirage inversé, la brume ne cessant de le masquer, le rendant étrangement absent : il structure la pensée du paysage, sans que son image sûre puisse se distinguer. Le roman, c’est cela : nous lisons ce livre qui est bien réel entre nos mains, même s’il reste en apparence enveloppé dans les nuages d’autant de brouillons qui constituent, en définitive, reliés entre eux, les quatorze récits d’un texte unique.

Ce sont des récits, des nouvelles, et un peu plus que cela : les échos d’un même monde qui ressemble à un théâtre réversible.

Ce qui existe n’existe pas, et ce qui n’existe pas est donc bien là : voilà la fiction


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire

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