Hommage

Traduire la bourlingue avec Lawrence Ferlinghetti

Écrivain et traducteur

Comment s’y prend-on pour traduire un poète qui maîtrisait une poignée de langues étrangères comme Lawrence Ferlinghetti, bourlingueur artisan du mouvement beat, mort le 22 février dernier ? La traduction suppose en effet une double nécessité : accepter que le texte original respire en soi, tout en restant vigilant en permanence. Et chaque mot de cet auteur peut cacher une facétie littéraire, un tour de force (pluri)linguistique ou un pastiche. Mais Ferlinghetti, en poète réagenceur de paysage, veille sous la surface du texte : il commente le travail du traducteur, lui suggère des pistes, l’encourage par de discrets clins d’œil.

Lawrence Ferlinghetti a beau être associé à la ville de San Francisco, ses nombreuses années à l’étranger ont pour lui été déterminantes. Ses carnets de route, intitulés La Vie vagabonde, parus récemment en France (Seuil, 2019), témoignent de ses nombreuses pérégrinations ainsi que de ses liens avec la littérature d’avant-garde et la poésie dissidente.

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Il vit après-guerre quatre ans à Paris où il obtient un doctorat en littérature à la Sorbonne, période pendant laquelle il rencontre George Whitman, futur propriétaire de la librairie Shakespeare and Co, la « boutique-sœur » de la librairie City Lights de San Francisco, ouverte en 1953. (Ferlinghetti écrira en 2017 : « George et moi comme deux vieux personnages de Beckett, tâchant de se rappeler leur passé ensemble, essayant de se rappeler d’anciens noms ou d’anciens visages sur les photos »). City Lights, librairie, mais aussi maison d’édition qui, dès 1955, lance la collection « Pocket Poets Series » en commençant par un recueil de poèmes de Ferlinghetti lui-même, Pictures of the Gone World.

En 1956, la publication de Howl d’Allen Ginsberg vaut à Ferlinghetti d’être arrêté et traîné au tribunal pour publication de textes obscènes. S’ensuit un procès retentissant qui, d’une certaine manière, peut être considéré comme l’acte de naissance de la Beat Generation et, s’il refuse d’être qualifié d’auteur beat, Lawrence Ferlinghetti est incontestablement un artisan du mouvement beat.

Après avoir publié A Coney Island of the Mind, en 1958 (aux éditions New Directions), Ferlinghetti, dès les années 1960, donne des lectures et participe à des festivals de poésie dans le monde entier. Notre homme défile dans le paysage, moins souvent en vagabond qu’en poète officiellement sollicité : Bolivie et Haïti en 1960 ; Chili, où lui et Ginsberg sont invités comme poètes de la contreculture au Primer Encuentro de Escritores Americanos ; Spolète, en Italie, pour le Festival des deux mondes, en 1965 ; en France pour des happenin


Nicolas Richard

Écrivain et traducteur