Littérature

La femme (vous et moi) – à propos de Sang et stupre au lycée de Kathy Acker

écrivaine

Icône punk, féministe, radicale, « Colette postmoderne », Kathy Acker mérite ce minimum qu’on doit à tous les poètes et qu’on oublie parfois : d’abord la lire. La réédition de Sang et stupre au lycée (1984), toujours dans la traduction chamanique de Claro aux éditions Laurence Viallet, nous permet de l’honorer. C’est l’histoire de Janey, petit double d’Acker destructeur et enfantin, avide de sexe, de maltraitance et mu par une énergie carbonisée qui finira par la dévorer ; c’est un long poème romanesque, qui vagabonde d’un genre artistique à un autre ; c’est un livre incontrôlable qui pulse et qui tape.

Il y a tant de choses, dans Sang et stupre au lycée de Kathy Acker, que tenter d’en dresser la liste provoque instantanément un effet double : de découragement, et de comique involontaire. Quoi, il faudrait mettre en ordre, dans un petit tableau, ce qui fait que ce livre nous fait quelque chose ? Que, depuis 1984 où il est apparu, il continue de nous faire quelque chose ? Et d’abord, qui serait ce « nous » ? Est-il même possible ?

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Commencer à tirer le fil de ces questions, c’est se perdre, et d’ailleurs pourquoi pas. L’objet entêtant qu’est ce livre donne envie de s’y heurter – ou de se faire cogner, encore et encore, par lui, qui pulse et qui tape, qui met en place une mécanique de percussion itérative et inarrêtable. Un beat obsessionnel et défoncé, si bien qu’à l’abordage de ce naufrage qui est aussi une assomption, ce ne sont pas les mots des outils critiques qu’on aurait besoin de convoquer, mais plutôt ceux des outils de forage.

Commençons donc par un extrait en apparence inoffensif (il y en a peu) :
« Dans une petite salle orange, on nous a expliqué qu’un ovule tombe des ovaires et, quand la bite entre dans le canal qui s’appelle l’utérus, elle y laisse des millions – le chiffre m’échappe – de spermatozoïdes. Si un seul de ces spermatozoïdes rencontre l’ovule tombé, la femme (vous et moi) est dans de sales draps. »

Janey, la trop jeune héroïne de ce livre qui se promène entre ses dix et ses treize ans, doit avorter. La scène est longue, il y aura deux avortements dans le livre, et dans l’extrait du jugement qui lui valut d’être interdit à la vente en Allemagne en 1986, reproduit par l’éditrice Laurence Viallet dans le dossier à la suite du texte, ils pèsent lourd.

De fait on n’échappera pas à ce que l’avortement fait au corps, des très jeunes comme des moins jeunes, au sang et à la douleur, aux docteurs bidons, charlatans, à la viande, et tout cela a un but explicité, le dévoilement : tous les mecs refusant de « mettre des capotes », « les avorteme


Emmanuelle Lambert

écrivaine, commissaire d'exposition indépendante

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