Littérature

Puissance et insurrection du poème – sur La Fabrique du Pré de Francis Ponge

Critique

Spectacle métamorphique du texte, s’engendrant à partir de sa chrysalide de sens, la republication de La Fabrique du Pré, poème de Francis Ponge, nous plonge dans le développement vertigineux du tissu organique textuel. Lire et relire le paysage, conceptualisation séminale de la Nature, poussée et énergie vitale : en lisant le pré, nous devons nous sentir prêts à agir, dans un devenir insurrectionnel des possibles.

Publié pour la première fois en 1971 dans la collection « Les sentiers de la création » (dirigée par Gaëtan Picon aux Éditions Skira), La Fabrique du Pré était devenu un livre rare. Gallimard vient de faire paraître cette édition du texte, qui a le grand mérite de restituer les 91 folios de l’édition originale. On y découvre un objet composite dévoilant le processus de création du poème, sa mécanique et ses impasses, dans un véritable frayage de l’écriture. « Le pré est une des choses du monde les plus difficiles à dire », avertit Ponge : gageons qu’un tel Pré puisse être tant bien que mal formulé.

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Pourquoi relire ce texte en 2021, et surtout sous cette forme hétérogène passablement impudique ? Ponge, dès l’avant-propos, parle en effet de la « prostitution » de son « PRÉ », exhibant ses notes besogneuses, outrancières, étalées pêle-mêle.

Sans doute est-ce par le dévoilement de ce qui est habituellement caché que nous devons prendre conscience d’une certaine vérité qui a tout d’une politique : alors que la page fait progressivement naître le texte, nous assistons dans le même temps à l’émergence élancée d’une puissance de mobilisation par la parole.

Une telle puissance, dans sa difficulté à être dite et précisément pour cette raison, offre une énergie de préparation : en lisant le pré, nous devons nous sentir prêts à agir, dans un devenir insurrectionnel de nos possibles. Ponge joue sur les mots, et il faudra définir l’insurrection comme une révolte légitime contre la violence subie. Nous découvrons alors que malgré tous les handicaps, scrupules et découragements, et dans notre flamboyante imperfection, nous sommes bel et bien près du but. Le Pré devient concept c’est-à-dire avant tout force de frappe capacitante, fondamentalement active.

Qu’est-ce qu’une « Fabrique » ? C’est d’abord un lieu dans lequel on peut pénétrer. Ce terme trouve son origine dans le faber ouvrier, dans ce qui a à être forgé, et prend sens autant dans l’industrie que dans l’architec


[1] Ernst Bloch, Le Principe espérance, t. 2, Paris, Gallimard, 1982, p. 216.

[2] Je renvoie ici au titre du livre suivant : Bâtissons une cathédrale, entretiens, J. Beuys, Y. Kounellis, A.Kiefer, E.Cucchi (L’Arche, 1988).

[3] cf. Georges Didi-Huberman, « L’imagination, notre Commune », publié en deux parties sur le site d’AOC, janvier 2021.

[4] Je renvoie ici notamment aux échanges intellectuels entre Francis Ponge et Philippe Sollers et aux années Tel Quel autour de 1968.

[5] Lire à ce propos l’ouvrage de Nathalie Heinich Écrivains et penseurs autour de Chambon-sur-Lignon, Les Impressions Nouvelles, 2018.

[6] Frédéric Boyer, Le souci de la terre, Gallimard, 2019, p. 42.

Léa Bismuth

Critique

Rayonnages

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Notes

[1] Ernst Bloch, Le Principe espérance, t. 2, Paris, Gallimard, 1982, p. 216.

[2] Je renvoie ici au titre du livre suivant : Bâtissons une cathédrale, entretiens, J. Beuys, Y. Kounellis, A.Kiefer, E.Cucchi (L’Arche, 1988).

[3] cf. Georges Didi-Huberman, « L’imagination, notre Commune », publié en deux parties sur le site d’AOC, janvier 2021.

[4] Je renvoie ici notamment aux échanges intellectuels entre Francis Ponge et Philippe Sollers et aux années Tel Quel autour de 1968.

[5] Lire à ce propos l’ouvrage de Nathalie Heinich Écrivains et penseurs autour de Chambon-sur-Lignon, Les Impressions Nouvelles, 2018.

[6] Frédéric Boyer, Le souci de la terre, Gallimard, 2019, p. 42.