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Le Mur de Berlin n’est pas tombé

Géographe

Dans le nouveau gouvernement allemand, il n’y a qu’une seule ministre originaire de l’ex-Allemagne de l’Est. Et c’est loin d’être anodin. Malgré presque trente ans de réunification, les inégalités entre «Ossis» et «Wessis» persistent, dans les faits et dans les esprits. Que reste-t-il à accomplir pour achever la chute du mur ?

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Depuis trois mois, l’Allemagne dispose enfin d’un gouvernement. La chancelière Angela Merkel peut s’appuyer sur une nouvelle « grande coalition » entre chrétiens-démocrates (CDU et CSU) et sociaux-démocrates (SPD) et sur une équipe ramassée de 15 ministres. Il s’en est fallu de peu pour qu’aucun ministre ne soit originaire de l’Est de l’Allemagne. Finalement, le SPD s’est dépêché de trouver une jeune femme, Franziska Giffey, maire de l’arrondissement de Neukölln (situé dans la partie occidentale de Berlin) mais ayant grandi dans l’ex-RDA, et de la propulser au poste de ministre de la famille alors qu’elle n’a jamais exercé de mandat autre que local. Il n’y a encore pas si longtemps, le fait que deux personnalités originaires d’Allemagne de l’Est occupaient les deux plus hautes fonctions de l’Etat (Joachim Gauck comme Président de la République et Angela Merkel au poste de chancelière) permettait de donner le change et de ne pas se préoccuper du déficit grandissant d’Allemands de l’Est à des postes de hautes fonctions. Désormais, les masques tombent.

Des chiffres accablants

Cet oubli fâcheux des Allemands de l’Est dans les postes ministériels n’a fait que raviver une plaie toujours ouverte chez un certain nombre de « Ossis » et relancer le débat sur la non-intégration des Allemands issus de l’ex-RDA dans la société allemande. Il faut dire que les chiffres sont accablants. Sur les 30 PDG des 30 plus grandes entreprises allemandes cotées en bourse (le DAX), aucun n’est originaire de l’ex-RDA. Sur les 196 membres des conseils d’administration des plus grandes entreprises, seulement cinq viennent d’Allemagne de l’Est. Pas un des 30 fleurons économiques du « made in Germany » ne possède son siège dans l’un des Länder de l’Est (Berlin inclus). Certes, tous les grands Konzerne ouest-allemands ont implanté des usines voire des centres de recherche dans « les nouveaux Bundesländer», pour reprendre la terminologie officielle, mais tous les donneurs d’ordre demeurent


[1] Plus généralement, près de trente ans après la chute du Mur, les disparités économiques entre Länder riches de l’Ouest et Länder pauvres de l’Est ne se sont pas estompées. Ainsi, le différentiel de richesse qui sépare le Land le plus riche d’Allemagne (Hambourg) du Land le plus pauvre (Mecklembourg-Poméranie) est presque du même ordre que celui qui sépare la Vénétie italienne de la Calabre.

[2] Carole Thibaut, auteure et metteure en scène,  directrice du Centre dramatique national de Montluçon, in Nectart, n° 6, 1-2018, p. 23-24. J’ajouterais, à titre de commentaire, que c’est justement le drame de « ceux-d’en-bas »… et de « ceux-d’en-haut » : en effet, les élites, quelles qu’elles soient, n’ont jamais fait l’expérience de « l’humiliation culturelle ». Elles sont donc incapables de comprendre réellement ce qui se joue de tragique dans la tête des laissés-pour-compte de la société. Pour ces élites, bien nées, bien formées et prédestinées à exercer de hautes fonctions, tous ceux qui le veulent vraiment, même ceux qui sont issus du peuple, peuvent réussir – n’y-a-t-il pas des exemples qui l’attestent (de fait, de moins en moins) ? Et ceux qui ne parviennent pas à s’élever sur l’échelle de la société sont donc, que ce soit dit ou non, considérés comme des « losers ». On aurait tort de sous-estimer la violence symbolique de telles assignations valant condamnation, « perdants », « laissés-pour-compte », « pauvres », « Jammer-Ossi » (c’est-à-dire les « Ossis qui se plaignent tout le temps »), « Hartz 4 » (c’est-à-dire les bénéficiaires – sic – des minima sociaux, relevés de 409 à 416,- euros en 2018). Reprises sans distinction et répercutées à l’envi par les médias dans leurs pseudo-analyses, elles achèvent de convaincre tout ce petit peuple de précaires, à l’Est mais aussi à l’Ouest, de son inutilité sociale voire de son caractère socialement néfaste. À partir de là, les laissés-pour-compte ou qui se considèrent comme tels n’ont en général que deux solutions : la rési

Boris Grésillon

Géographe, Professeur à l'Université Aix-Marseille, Senior Fellow de la fondation Alexander-von-Humboldt (Berlin)

Notes

[1] Plus généralement, près de trente ans après la chute du Mur, les disparités économiques entre Länder riches de l’Ouest et Länder pauvres de l’Est ne se sont pas estompées. Ainsi, le différentiel de richesse qui sépare le Land le plus riche d’Allemagne (Hambourg) du Land le plus pauvre (Mecklembourg-Poméranie) est presque du même ordre que celui qui sépare la Vénétie italienne de la Calabre.

[2] Carole Thibaut, auteure et metteure en scène,  directrice du Centre dramatique national de Montluçon, in Nectart, n° 6, 1-2018, p. 23-24. J’ajouterais, à titre de commentaire, que c’est justement le drame de « ceux-d’en-bas »… et de « ceux-d’en-haut » : en effet, les élites, quelles qu’elles soient, n’ont jamais fait l’expérience de « l’humiliation culturelle ». Elles sont donc incapables de comprendre réellement ce qui se joue de tragique dans la tête des laissés-pour-compte de la société. Pour ces élites, bien nées, bien formées et prédestinées à exercer de hautes fonctions, tous ceux qui le veulent vraiment, même ceux qui sont issus du peuple, peuvent réussir – n’y-a-t-il pas des exemples qui l’attestent (de fait, de moins en moins) ? Et ceux qui ne parviennent pas à s’élever sur l’échelle de la société sont donc, que ce soit dit ou non, considérés comme des « losers ». On aurait tort de sous-estimer la violence symbolique de telles assignations valant condamnation, « perdants », « laissés-pour-compte », « pauvres », « Jammer-Ossi » (c’est-à-dire les « Ossis qui se plaignent tout le temps »), « Hartz 4 » (c’est-à-dire les bénéficiaires – sic – des minima sociaux, relevés de 409 à 416,- euros en 2018). Reprises sans distinction et répercutées à l’envi par les médias dans leurs pseudo-analyses, elles achèvent de convaincre tout ce petit peuple de précaires, à l’Est mais aussi à l’Ouest, de son inutilité sociale voire de son caractère socialement néfaste. À partir de là, les laissés-pour-compte ou qui se considèrent comme tels n’ont en général que deux solutions : la rési