Carnet de mémoires coloniales
Il lança d’une voix forte et joviale, tout près de mon visage :
— Salut !
C’était un salut retentissant, impérieux, auquel il m’était impossible de ne pas répondre. Je reconnus sa voix et, encore plongée dans le sommeil, je pensai, ça ne peut pas être toi, tu es mort.
Et j’ouvris les yeux.
1.
Manuel avait laissé son cœur en Afrique. J’en connais d’autres qui y laissèrent deux petites voitures, un véhicule tout-terrain, un utilitaire, une fourgonnette, deux villas, trois machambas[1], et aussi un compte à la Banque Nationale Ultramarine, converti en meticais, la monnaie mozambicaine.
Qui n’a pas eu à laisser quelque part les multiples passions de son cœur ?
2.
Les Blancs allaient se faire des négresses. Les négresses étaient toutes pareilles et pour eux, il n’y avait pas de différence entre Madalena Xinguile et Emília Cachamba, sauf la couleur du pagne ou la forme des nichons mais les Blancs s’enfonçaient loin dans le caniço[2], par un chemin plus ou moins direct, pour fourrer la chatte des négresses. C’était des aventuriers. Sans foi ni loi.
Les négresses avaient une grande chatte, disaient les femmes des Blancs, le dimanche après-midi, absorbées dans leurs conversations intimes sous le grand anacardier, le bide plein à péter de crevettes grillées, tandis que leurs maris sortaient faire leur virée de mecs, les laissant se dérouiller la langue parce que les femmes ont besoin de se dérouiller la langue entre elles. Les négresses avaient le con large, mais elles parlaient de parties intimes ou honteuses, ou bien de foufoune. Les négresses avaient une grande chatte, ce qui expliquait la façon dont elles accouchaient à quatre pattes, la tête tout près du sol, n’importe où, comme les animaux. Leur chatte était grande. Pas celle des Blanches, elle était étroite, parce que les Blanches n’étaient pas de ces chiennes faciles, parce que dans la chatte sacrée des Blanches, seul le machin de leur mari avait pénétré, un petit peu, et encore, difficilement ; elles étaient très