Rediffusion

L’hydre à plusieurs têtes – à propos de La Familia grande de Camille Kouchner

Sociologue

Le personnage central de La Familia grande n’est pas le beau-père, le « mari de ma mère », qui jamais ne sera ni nommé ni prénommé, mais Évelyne, Madame Pisier, notre mère, ma mère, maman, ma maman, mon Évelyne, mon Évelyne à moi, maman chérie, ma mamouchka, déclinaisons de tendresse et d’amour, litanie poignante comme pour bercer le grand chagrin, la perte irrémédiable, vécue par celle qui, à plusieurs reprises, a perdu sa mère. Au-delà de la terrible « révélation » qui a focalisé toute l’attention médiatique, il faut lire ce récit puissant. Rediffusion du 6 avril 2021

Il a déjà été beaucoup écrit sur le livre de Camille Kouchner, La Familia grande. Sur la révélation qui y est faite – l’inceste perpétré par Olivier Duhamel sur son beau-fils –, révélation qui visiblement n’en serait une que pour les gens éloignés des cercles médiaticopoliticointellectuels de la capitale, autre façon, sans doute, de signifier, encore et malgré tout, leur entre-soi : chez ces « gens-là » comme le chantait Brel, et comme l’écrit Camille Kouchner d’ailleurs (même si l’expression ne désigne pas du tout la même catégorie sociale), on sait, on se tait, marque d’allégeance. Ne vaut-il pas mieux laver son linge sale en famille, n’est-ce pas vulgaire de déballer ce genre d’histoires sur la place publique ?

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Il a beaucoup été écrit sur les chiffres de vente, sur l’onde de choc, tant pour les premiers concernés que pour toutes les victimes qui, elles et eux aussi, ont osé alors prendre la parole, car l’important n’est pas qu’il y ait une Adèle Haenel, une Vanessa Springora, une Camille Kouchner, mais des centaines, des milliers, qui grâce à elles, à leur tour, osent.

Il a beaucoup été écrit sur cette révélation, car bien évidemment, l’enjeu et la portée en sont considérables. Mais il a été tellement écrit qu’il peut sembler inutile de lire le livre, tant on pense savoir ce qu’on y trouvera, comme ces films dont on connait toutes les répliques sans jamais les avoir vus. Or, qui s’emparerait de ce livre en y cherchant de prime abord la « révélation » et ses détails, risquerait fort d’être un peu désappointé : le « scoop » n’arrive en effet qu’à la page 105, après plus de la moitié du livre. Et s’il a attiré toute l’attention médiatique, peut-être n’est-t-il pas le seul sujet du livre.

Car le personnage central du livre n’est pas le beau-père, le « mari de ma mère », qui jamais ne sera ni nommé ni prénommé, mais Évelyne, Madame Pisier, notre mère, ma mère, maman, ma maman, mon Évelyne, mon Évelyne à moi, maman chérie, ma mamouchka, déclinaisons de tendre


Christine Détrez

Sociologue, Professeure à l'ENS-Lyon