La Déesse & le Marchand
CALCUTTA
Le plus étrange dans tout cet étrange périple est qu’il fut déclenché par un mot – non pas un de ces mots rarement usités mais un terme ordinaire, banal, largement employé du Caire à Calcutta. C’est le mot bundook, qui signifie « arme à feu » dans beaucoup de langues y compris ma langue maternelle, le begali ou bangla. Ce terme n’est pas non plus étranger à l’anglais : du fait de pratiques coloniales britanniques, il est parvenu à se faire une place dans l’Oxford English Dictionary où il est défini comme synonyme de « fusil ».
Pourtant, nulle trace de fusil ni de quelque autre arme à feu le jour où débuta ce périple car le mot n’était pas alors censé faire référence à une arme – ce qui, précisément, attira mon attention. Il apparaissait en fait dans la composition d’un nom : « Bonduki Sadagar », que l’on pourrait traduire par « Marchand d’Armes ». Le Marchand d’Armes entra dans ma vie non pas à Brooklyn, où je vis et travaille, mais dans la ville qui m’a vu naître et grandir, à savoir Calcutta (ou Kolkata ainsi qu’on la désigne désormais). Cette année-là, comme à mon habitude, je passais la majeure partie de l’hiver à Kolkata, officiellement pour des raisons professionnelles. Je suis marchand de livres rares et d’antiquités asiatiques, ce qui m’oblige à faire beaucoup de prospection sur le terrain, et puisqu’il se trouve que je possède un petit appartement à Kolkata (aménagé dans la maison que mes sœurs et moi-même avons héritée de nos parents), cette ville est devenue ma base arrière.
À vrai dire, je n’y retournais pas uniquement pour mon travail : Kolkata me servait parfois de refuge, me protégeant du froid mordant des hivers de Brooklyn certes, mais aussi de la solitude que j’avais à affronter dans ma vie privée devenue, avec le temps, un véritable désert tandis que ma fortune professionnelle, à l’inverse, prospérait. Jamais n’avais-je connu isolement plus extrême que cette année-là, alors qu’une relation très prometteuse venait de prendre fin brutalem