Sport et société : mais qui êtes-vous pour jauger ?
Jamais avare d’un exercice d’autosatisfecit, le gouvernement s’est félicité par la voix de Jean-Michel Blanquer du bilan tricolore aux Jeux Olympiques de Tokyo. « Vive le sport collectif ! Vive l’EPS ! s’empressa de twitter le ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, suite aux médailles remportées par la France en basket-ball, handball et volley-ball. Le succès de nos équipes illustre la qualité de l’enseignement de ces sports à l’école. Saluons le travail des enseignants d’EPS et la bonne collaboration avec les fédérations. » La tentative était osée et le contre fut brutal, à l’image de celui de Nicolas Batum sur la tête du Slovène Luka Dončić au buzzer de la demi-finale du tournoi de basket-ball.
Cette fois, il est venu de Vincent Poirier, le pivot du Real Madrid et de l’équipe de France : « J’ai quand même rarement fait du basket à l’école mais tranquille. » La punchline trouva immédiatement de l’écho auprès de Vincent Gérard, le gardien de but de l’équipe de France de handball, qui fit, lui, dans le registre de l’ironie : « Heureux de voir que l’EPS est considérée sur les réseaux sociaux. »
Des propos faisant remonter à la surface les mots chocs du décathlonien Kevin Mayer, qui, quelques mois auparavant, avait dénoncé « une distorsion entre les ambitions sportives françaises et la politique menée par le gouvernement : à l’école, un génie des maths sera systématiquement plus valorisé qu’un génie du mouvement alors qu’aux États-Unis, par exemple, le sport est aussi important que n’importe quelle autre matière ».
La synthèse fut faite le 16 août dernier par le nouveau joueur des Knicks de New York, Evan Fournier, accessoirement fils d’enseignant d’EPS, dans une lettre ouverte au ministre publiée sur le blog du Huffington Post : « Monsieur le Ministre (…), je m’interroge face à votre enthousiasme. Vous avez, en effet, salué les performances tricolores en vous félicitant du travail effectué par votre ministère, et de l’impact qui serait le sien sur ces performances. Il est minime. (…) Aucun de mes coéquipiers ne peut aujourd’hui remercier l’Éducation nationale pour lui avoir permis de jouer au basket. Le cheminement intellectuel insinuant qu’il s’agit d’une stratégie de l’Éducation nationale pour former les champions de demain me paraît simpliste. (…) Ce ne sont pas les deux minuscules heures d’EPS par semaine de mon emploi du temps de collégien qui m’ont insufflé l’envie de jouer au basket, pour devenir le sportif que je suis aujourd’hui. (…) Ne nous y trompons pas, la place du sport à l’école est dérisoire. (…) Je suis conscient de la complexité que représente chaque réforme, et de la charge de travail qui est la vôtre, mais le sport attend depuis trop longtemps d’être considéré à sa juste valeur dans nos collèges, lycées et universités. Féliciter nos athlètes tous les quatre ans n’est plus suffisant. »
La comptabilité des Bleus à Tokyo aurait d’ailleurs tendance à donner raison aux insolents. Trente-trois médailles dont dix en or : c’est le plus faible total enregistré par une délégation française depuis les JO de Barcelone, en 1992. Nonobstant les authentiques exploits de nos handballeurs, handballeuses et volleyeurs, il n’y a objectivement pas de quoi pavoiser avec deux médailles d’argent en cumulé pour les trois disciplines majeures de l’olympisme que sont l’athlétisme, la gymnastique et la natation.
En un demi-siècle, les jeunes Français ont perdu plus du quart de leur capacité physique.
Mais ce sera beaucoup mieux à Paris, en 2024, rassure l’ancienne nageuse Roxana Maracineanu, dont le ministère a pourtant été coulé dans la piscine de Blanquer. À l’en croire, le simple fait d’organiser les Jeux serait déjà la garantie d’un gain de 25 % de médailles. Et l’optimiste de citer en exemple le sport britannique, au creux de la vague au tournant du millenium et marchant sur l’eau lors de ses JO en 2012. C’est oublier que le Royaume-Uni est historiquement une grande nation sportive là où Jean-Michel Blanquer, partant avec un sérieux handicap, n’a que la modeste ambition de « faire de la France une nation plus sportive », sans préciser toutefois à quel niveau il place le curseur.
Lors d’un rapide tour de piste à Tokyo, durant lequel il s’autorisa à critiquer la gestion de la pandémie par le Japon – qui, rappelons-le, déplore à ce jour 15 000 décès – Emmanuel Macron se poussa également du col en se flattant, entre deux selfies en tribune, de la mise en place des trente minutes quotidiennes d’activité physique à l’école recommandées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Là encore, une déclaration plutôt approximative : d’une part, la recommandation de l’OMS évoque une heure, et non trente minutes, en complément des trois heures hebdomadaires d’EPS, lesquelles, dans la réalité française, se résument déjà à moins de deux heures effectives ; d’autre part, la mise en place de ce dispositif ne concerne à ce jour que 1 100 écoles, soit 25 000 à 30 000 élèves sur 12 millions d’enfants scolarisés, soit 0,25 % des contingents.
Mais l’exécutif se sentait sans doute obligé de réagir au rapport d’évaluation des politiques de prévention en matière de santé publique remis, le 21 juillet dernier, par les députés Marie Tamarelle-Verhaeghe (LREM) et Régis Juanico (PS). Car l’état des lieux dressé est tout simplement catastrophique. En un demi-siècle, les jeunes Français ont perdu plus du quart de leur capacité physique. Deux tiers des 11-17 ans bougent moins d’une heure par jour mais en passent plus de deux devant les écrans.
Des faits qui, associés à une alimentation penchant gravement vers la malbouffe, font courir à la moitié d’entre eux un risque sanitaire très élevé. Les périodes de confinement n’ont, bien sûr, rien arrangé, le corps médical estimant à 5 kg la prise de poids moyenne des enfants et des adolescents durant l’année écoulée. Autrement dit, c’est un tic-tac plutôt angoissant qui accompagne le compte à rebours des JO de Paris 2024. « Plus le corps est faible, plus il commande ; plus il est fort, plus il obéit », nous rappelle Jean-Jacques Rousseau.
Le gouvernement peut s’enorgueillir d’avoir très peu fermé les écoles durant la crise sanitaire, il n’empêche qu’il a raté l’opportunité de capitaliser sur cette dernière pour vanter les bienfaits de l’activité physique sur la santé. Les Jeux Olympiques étant retransmis par le service public, n’aurait-il pas été opportun d’investir dans un spot publicitaire plutôt que de laisser toute la surface d’annonce aux constructeurs automobiles ? Cela a bien été fait pour la vaccination.
Mais que le sport ne dispose plus que d’un sous-ministère en dit malheureusement plus qu’un long discours : la vérité est qu’il n’est que la cinquième roue du carrosse de l’Éducation et un sujet mineur pour Jean-Michel Blanquer, qui ne l’aborde que très brièvement à la fin de ses interviews. Une séance d’aérobic improvisée, masque sur le museau, ne fait pas une politique sportive.
Comme souvent, l’arbitrage s’est effectué à Bercy : ce sera cinquante balles pour cinq millions de gamins et pas un kopek de plus !
Cela dit, le locataire de l’Hôtel de Rochechouart s’inscrit dans une certaine tradition. « C’était au printemps 1915, j’avais dix-neuf ans. Je ne connaissais de l’exercice physique que les vagues quarts d’heure de ballon dans la cour du collège, écrit Henry de Montherlant dans la préface des Olympiques (Gallimard, 1954). J’avais été, bien entendu, dispensé de l’heure hebdomadaire de gymnastique, l’intelligentsia d’alors étant presque systématiquement dispensées de deux choses, rapprochées non sans audace : la gymnastique et l’instruction religieuse. »
Evan Fournier, Vincent Gérard, Kevin Mayer et Vincent Poirier savent parfaitement de quoi ils parlent : le sport n’est pas considéré comme un bien essentiel dans notre société quand le livre a su, lui, se faire entendre durant les jours sombres. Et, n’en déplaise au gouvernement, rien de sérieux n’a été engagé depuis quatre ans pour inverser la tendance.
Dans leur rapport au titre pour le moins explicite – « Sédentarité : désamorcer une bombe à retardement sanitaire », Marie Tamarelle-Verhaeghe et Régis Juanico formulent dix-huit propositions pour remettre le sport à sa juste place dans notre société. Avant toute chose, les parlementaires appellent à décréter l’activité physique et sportive « grande cause nationale » dès 2022, ce qui, soit dit en passant, aurait dû être fait dès l’obtention des Jeux, en 2017.
Ils souhaiteraient également faire de septembre le mois de l’activité physique en fédérant les nombreuses initiatives éparses dans ce domaine ; réclament la mise en place de tests de capacité pour tous ; prônent l’utilisation du marketing social au service de la promotion de l’activité physique ; suggèrent de faire de l’EPS un savoir fondamental en l’inscrivant dans les compétences du socle commun évaluées dans le diplôme national du Brevet, ainsi que dans les épreuves du CAP et du BAC ; proposent de lancer un grand plan d’aménagement du bâti scolaire et des cours de récréation afin de favoriser les jeux et la motricité ; et réclament l’élargissement du « Pass’sport ». Mais il faudra se contenter d’un coupon de 50 euros dont pourront bénéficier uniquement les enfants éligibles à l’allocation de rentrée scolaire. Comme souvent, l’arbitrage s’est effectué à Bercy : ce sera cinquante balles pour cinq millions de gamins et pas un kopek de plus !
Pire, de l’avis des spécialistes, la mise en place du pass sanitaire devrait encore aggraver la fracture sportive qui lézarde le pays. Les secteurs du sport de loisir marchand et du sport amateur ont déjà été fortement impactés par les fermetures à répétition et la mise en place de jauges : pour certaines salles, la baisse de fréquentation peut aller jusqu’à 50 %, quant au sport amateur il accuse dans certaines disciplines une perte de 25 % de licenciés. La rentrée aurait donc mérité une mécanique incitative pour aller rechercher la clientèle perdue.
Au contraire, le contrôle du pass sanitaire, aussi disproportionné qu’inapplicable, risque de décourager nombre de bénévoles, sur lesquels repose tout le système, comme le rappelle Evan Fournier, dans sa lettre à Jean-Michel Blanquer : « Le travail de nos enseignants et éducateurs, bien que formidable, se doit d’être associé à celui des clubs amateurs et de ses bénévoles sans qui le sport français n’existerait pas ».
Si Rome ne s’est pas faite en un jour, une nation sportive ne saurait malheureusement pas plus se construire en trois ans. Acculé dans les cordes, Jean-Michel Blanquer a annoncé la création d’un enseignement de spécialité dans le bac général, bref un bac pro sport devrait voir le jour dans « certains » lycées. Le ministre a également précisé les choses quant aux fameuses trente minutes quotidiennes d’activité physique : le Président de la République désire que celles-ci soient rendues effectives dans chaque école primaire de France à l’horizon 2024 dans le cadre de l’héritage des JO de Paris. En somme, tels des champions du vieux monde sur le chemin des vestiaires, Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer nous promettent de « faire mieux la prochaine fois ».