Écologie

La « part maudite » de l’agriculture – Nourrir le monde ? (2/2)

Agronome

Dans un premier volet, Gilles Allaire proposait d’analyser l’agriculture comme système écologique et culturel, en dépassant l’idée selon laquelle elle n’aurait vocation qu’à « nourrir le monde ». Il emprunte ici le terme de « part maudite » à Georges Bataille pour mieux comprendre le rôle de l’excédent – de production, d’exclusion, de déchets – dénoncé aujourd’hui dans une perspective écologique. Or, cette part maudite, c’est aussi celle qui existe pour enrichir la vie.

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Dans une première partie de ce texte, j’ai montré que la révolution industrielle, en supprimant l’utilisation des animaux comme bêtes de somme, et la révolution énergétique, qui a fait du pétrole la source énergétique principale de la production agricole (hormis l’énergie solaire pour la photosynthèse) avec la motorisation, les engrais de synthèse et les pesticides, ont conduit à un excédent de production, et donc de terres, tout en permettant une forte croissance démographique.

Cet excédent a été principalement absorbé par l’élevage industriel, moteur de l’accumulation capitaliste dans le secteur agroalimentaire. Les changements intervenus dans les 50 dernières années, notamment avec le développement des services, n’ont pas transformé la logique de cette croissance agricole. Au problème de l’excédent de terres s’ajoute celui de l’excédent du travail.

À toutes les époques, les causes de famines, locales, ont été nombreuses, mais on ne peut imaginer le monde en permanence à la limite de la famine. La vie n’existerait pas sans possibilité de croissance et donc d’excès. Le problème des sociétés est celui de l’excédent.

L’économie de l’excédent

Un organisme doit puiser suffisamment d’énergie dans son environnement pour survivre, le niveau suffisant de celle-ci étant déterminé par les besoins métaboliques de base pour le maintien, la croissance et la reproduction de cet organisme. Cette loi s’applique à l’ensemble du vivant, et donc aux sociétés humaines. Les organismes, écosystèmes et sociétés sont des systèmes thermodynamiquement ouverts et, globalement, il existe toujours un excédent d’énergie, sans lequel la vie s’éteindrait. Celui-ci conduit à une complexité croissante de la vie et des sociétés.

Pour le philosophe Georges Bataille, « l’organisme vivant, dans la situation que déterminent les jeux de l’énergie à la surface du globe, reçoit en principe plus d’énergie qu’il n’est nécessaire au maintien de la vie : l’énergie (la richesse) excédante peut être ut


[1] Georges Bataille, La Part maudite suivi de La Notion de dépense, Éditions de Minuit, 1967.

[2] Les limites de l’utilitarismeRevue européenne des sciences sociales, 1988.

[3] André Gorz, Capitalisme, socialisme, écologie, éditions Galilée, 1991.

[4] David Graeber, Bullshit jobs, éditions Les liens qui libèrent, 2018.

Gilles Allaire

Agronome

Notes

[1] Georges Bataille, La Part maudite suivi de La Notion de dépense, Éditions de Minuit, 1967.

[2] Les limites de l’utilitarismeRevue européenne des sciences sociales, 1988.

[3] André Gorz, Capitalisme, socialisme, écologie, éditions Galilée, 1991.

[4] David Graeber, Bullshit jobs, éditions Les liens qui libèrent, 2018.