Hommage

La folie douce de Lee « Scratch » Perry

Journaliste

La récente disparition du producteur et musicien jamaïcain Lee « Scratch » Perry à l’âge de 85 ans, clôt définitivement l’âge d’or de la musique jamaïquaine. Il est indiscutable que sans la contribution de Lee Perry cette musique n’aurait jamais été ce qu’elle fut : une révolution sonore, sociale, psychologique, spirituelle.

Parmi les grandes éminences du son enregistré, trois des plus cités ont à un moment donné basculé dans la folie. Phil Spector, architecte du fameux « wall of sound », qui étalonnait ses chansons sur une démesure orchestrale en tout point wagnérienne, dirigeait certaines séances en studio à coups de revolver et a fini sa vie en prison après sa condamnation pour le meurtre d’une jeune actrice. Brian Wilson, à qui revient le meilleur du répertoire des Beach Boys, et la production de grands disques tels que Pet Sounds ou Smile, a passé trois ans sans quitter son lit, effrayé qu’il était par le monde extérieur (avant qu’un psychiatre ne l’en extirpe alors qu’il pesait autour de 150 kilos). Joe Meek, le producteur anglais le plus influent de la première moitié des années 60, le premier à utiliser des outils tel que le compresseur et à faire usage d’effets sonores comme l’écho et la réverbération, tuera sa propriétaire avant de se suicider avec un fusil de chasse.

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Moins traumatiques et sanglantes – mais tout aussi marquantes – auront été la vie et la carrière de Rainford Hugh Perry, mieux connu sous le nom de Lee Perry, dont la récente disparition clôt définitivement l’âge d’or de la musique jamaïquaine. Spector, Wilson et Meek ont été les premiers à envisager le studio comme un instrument à part entière. La plus grande folie de Lee Perry fut d’avoir conçut le sien comme une arche sensée ramener vers le continent mère, spirituellement du moins, les filles et fils de cette Afrique à laquelle leurs ancêtres avaient été arrachés. Rien de fortuit à ce que son studio, l’un des hauts lieux de l’histoire de la musique moderne, ait été baptisé Black Ark, « l’arche noire ».

Au cours de l’été 1978, j’ai eu la chance de rendre visite au producteur jamaïquain chez lui à Kingston, dans le quartier tranquille de Washington Gardens, et d’assister à une séance de mixage dans son fameux laboratoire sonore.

Je dis chance parce que quelques mois plus tard, pris d’une violente crise


Francis Dordor

Journaliste, Critique musical

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