Sacrifices et retour des héros
« Morts pour la République », « héros du quotidien » : depuis quelques mois, l’exécutif s’emploie à chercher les formulations et les procédures qui lui permettraient de manifester la reconnaissance due à ceux qui ont, dans des circonstances exceptionnelles qui ne sont pas celles des conflits armés, fait preuve d’un courage et d’un altruisme remarquables.
Quitte à citer la rappeur Soprano dans une formule qui semble tenir de l’oxymore : les héros, ces demi-dieux dont les exploits mythologiques ou réels devaient être éternellement conservés en mémoire, inspirant poèmes et tragédies, monuments et allégories, sont devenus des citoyens ordinaires, des gens comme les autres, mais qui savent, à un moment donné, agir pour les autres justement, sans penser à leur sécurité ou à leur intérêt immédiat. Ces héros-là ne sont plus inaccessibles et inquiétants ; ils ne sont plus des grands hommes dont la Patrie grave le souvenir au fronton des monuments ; ils sont d’autres nous-mêmes, mais qui savent s’engager et agir.

Le retour des héros dans le discours politique n’est pas tout à fait innocent. Derrière les discours bien ordonnés sur l’exemplarité des actions extraordinaires accomplies par les gens ordinaires, il recèle en fait un certain nombre de non-dits, qui touchent à des questions essentielles pour nos sociétés démocratiques, mettant notamment en jeu le sens que nous donnons à l’idée d’engagement ou de civisme et donc la place que nous sommes prêts à conférer à la morale dans la vie politique, et qui méritent donc d’être portées à explicitation.
Certes, il s’agissait sans doute avant tout pour l’exécutif de corriger son discours initial sur la mobilisation face à la pandémie, surchargé de métaphores martiales : nous étions en guerre, contre un ennemi implacable, et comme en 14, la Nation y faisait face par différentes lignes de défense, qui loin du front constituaient l’immense majorité des citoyens en combattants de l’arrière, presque en planqués confondant confi