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En Tunisie, après le message, le messager ?

Journaliste

L’enthousiasme populaire qui accompagne Kaïs Saïed n’a d’égal que le scepticisme qui entoure ses méthodes et l’opacité de ses prises de décision. Est-il l’homme providentiel qui permettra à la construction démocratique tunisienne de sortir du marasme dans laquelle elle est bloquée depuis le vote de la constitution en 2014 ? Rien ne permet encore de le penser.

En Tunisie comme ailleurs, le storytelling domine la vie politique. Le récit et la perception de ce récit et des hommes qui le portent comptent souvent bien plus que les lois qu’ils élaborent, et qu’ils votent. Ce fut vrai pour Béji Caïd Essebsi (2014-2019), président sans projet, auteur d’un mandat sans réalisation notable et pourtant vu comme un rempart contre le conservatisme religieux par une part significative de la population tunisienne et des alliés étrangers.

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C’est tout aussi vrai pour Kaïs Saïed, son inattendu successeur, qui se rêve désormais en homme providentiel de la révolution tunisienne. L’est-il ? Sans nul doute, répondent en chœur une large partie des Tunisiens, toutes classes sociales confondues, lassés par l’absence de réforme et une décennie d’atermoiements d’un système politique qui ne pêche pas tant par sa structure que par ses acteurs. Par son courage et son entêtement, disent ceux qui le soutiennent, Kaïs Saïed a réussi à renverser la table en se hissant à la présidence sans appareil politique, puis en donnant un coup de pied dans la fourmilière le 25 juillet 2021 en suspendant le gouvernement et les travaux d’une Assemblée des représentants du peuple (ARP) devenue symbole de la paralysie du pays.

En Tunisie comme ailleurs, l’homme fort sauveur de la nation est un récit qui plaît.

L’image de Rached Ghannouchi, président de l’ARP, immobile devant les grilles de l’Assemblée fermées et empêché d’y accéder par l’armée, demeurera l’un des moments forts de la transition démocratique. Une image qui dit bien à quoi en sont réduits les partis politiques et leurs élus : à l’impuissance, et à l’attente.

Face au blocage politique institutionnel, le président a agi. Les Tunisiens l’apprécient pour cela. En Tunisie comme ailleurs, l’homme fort sauveur de la nation est un récit qui plaît. Doit-on s’en réjouir ? Rien n’est moins sûr. Loin d’être neuve, cette idée de l’homme fort qui manque à la Tunisie est présente dès 2011 dans le discours non pas

Pierre Puchot

Journaliste, spécialiste du Moyen-Orient

Notes