Pour un féminisme concret et incarné
L’effervescence féministe du moment où nous sommes produit tout à la fois une multiplicité d’initiatives militantes sur le terrain et une grande vitalité théorique dans les débats. Un fil rouge tient ensemble cette dynamique, celui du corps des femmes dans ses dimensions les plus intimes. Par-delà l’étape cruciale qu’a représenté la conquête des droits procréatifs dans les années 1970, et malgré un processus d’indéniable émancipation sociale, il se trouve que les femmes ont continué d’être définies comme des corps « à disposition ». Je pense même que c’est le prix qu’elles ont eu à payer pour avoir investi le monde du travail et réclamé d’être considérées enfin comme des individus de droits.
Il restait donc un domaine où les anciens mécanismes de l’objectivation et de l’aliénation corporelles continuaient de fonctionner à plein, celui de la vie intime et sexuelle. C’est là que se concentrent aujourd’hui les luttes et la réflexion féministes, produisant une dynamique puissante qui cible le système patriarcal dans ses fondements.

Le projet n’est pas nouveau, il était celui des militantes et théoriciennes qui ont entrepris, il y a cinquante ans, de s’extirper du carcan de la conjugalité et de la maternité obligatoires en se donnant les moyens de contrôler leur capacité procréatrice et en aspirant à vivre librement leur sexualité. Mais il était resté inabouti, l’assignation des femmes à leurs fonctions sexuelle et maternelle demeurant le sous-bassement solide de nos sociétés soi-disant émancipées.
C’est ce scandale qui a été mis au jour dans la séquence ouverte au début des années 2010 que je propose d’appeler « bataille de l’intime » et dont l’histoire montrera, je crois, qu’elle aura été aussi décisive que la Deuxième vague. Contrairement à ce que la (dis)qualification de « néoféminisme » voudrait laisser croire, il ne se joue là rien d’inédit. Si les troupes sont nouvelles, l’ambition demeure obstinément la même : rejeter la définition de nos existences au